Bonne année et…VTCFA !
Bonne Année et… VTCFA !
Quoi ? VTCFA ? Qu’est-ce que c’est que ça pour des vœux ?
Alors non, ce n’est pas un code de ralliement caché pour quelques initiés, c’est une invitation à vous laisser conduire, dans votre spiritualité, en cette nouvelle année par 5 adjectifs ou verbes. Ceux que l’apôtre Paul laisse en conclusion à ses lecteurs dans la première lettre aux Corinthiens chapitre 16 versets 13 et 14, dont les lettres VTCFA sont les initiales. Lisons ce passage ensemble :
« Veillez, Tenez-vous dans la foi, Comportez-vous en hommes, soyez Forts. Que parmi vous tout se fasse avec Amour »
Vous avez certainement remarqué, à la suite de cette lecture, que Paul laisse ici plutôt quatre verbes ou adjectifs (v.13) et un substantif (v.14). En effet, l’amour est le « mot-clé » du passage, le principe qui doit animer les quatre actions (VTCF) précédentes. « Que parmi vous tout se fasse avec Amour ».
Première lettre, V comme veillez !
Injonction tellement pertinente pour ces chrétiens de Corinthe qui s’étaient laissés endormir par toutes sortes de choses notamment :
1 – Par la sagesse humaine (chapitre 1 et 2).
Ils s’étaient mis, petit à petit, à préférer les beaux discours pour plaire à leurs contemporains en laissant de côté certains éléments de la sagesse de Dieu, notamment la bonne nouvelle d’un Christ crucifié, puissance de Dieu qui sauve.
C’est le sophisme qui avait, entre autres, le vent en poupe en ce temps-là. Cette école de pensée, qui a vu le jour suite à la « crise du doute1 » dans la pensée philosophique, enseignait l’éloquence et l’art de la persuasion par le verbe. Peu importait pour un sophiste de l’époque, de savoir si l’argumentaire était au final illogique, fallacieux, l’important c’était la méthode2, le fond pour convaincre. Protagoras, un sophiste célèbre disait que : « l’homme est la mesure de toutes choses ». Vous comprendrez donc mieux pourquoi les Corinthiens cherchaient, en premier lieu, un orateur de qualité pour les représenter dans le monde, d’où les divisions en leur sein (Cf 1 Cor 1.12), d’où également le rejet subi par l’apôtre (2.4).
Vous comprendrez mieux également dans cette perspective, pourquoi ils mettaient de côté certaines choses de l’Evangile, qui n’auraient jamais pu être accréditées pour la sagesse grecque (1.22).
L’exhortation de veiller est aussi pertinente dans ce contexte, car les Corinthiens s’étaient également laissés étourdir, bercer :
2- Par leur orgueil
Certains se croyaient meilleurs que les autres, voire autosuffisants (chapitre 12 et 14).
3-Par les mauvaises doctrines
Ce qui leur laissait notamment un sentiment d’être déjà arrivés au but ; plus besoin de veiller lorsqu’on se croit arrivés, n’est ce pas ?
Et justement, dans cette perspective venons-en au :
T, de Tenez-vous fermes dans la foi
Rappel important pour ces Corinthiens qui s’étaient laissés déstabiliser par l’eschatologie sur-réalisée.
Qu’est ce que c’est que cela ? Certains dans cette église croyaient que, par la venue de l’Esprit en eux, ils jouissaient totalement, dès à présent, des bénédictions du Royaume de Dieu. Ils auraient pu proclamer une phrase comme celle-ci : « Il n’y a rien à attendre pour le futur ! ». Ils ne croyaient donc plus à la résurrection corporelle des morts (Cf chapitre 15).
La raison pour laquelle ils ont adhéré à cela, est peut être due au fait qu’ils avaient du mal à comprendre la résurrection des corps, peut être que cette croyance était aussi moquée dans leur contexte3. Ils s’étaient donc laissés influencer dans cette tension personnelle et communautaire, par certaines pensées philosophiques grecques, plus populaires, qui valorisaient l’âme ou l’esprit plutôt que la matière4. Bref, ça plane sérieux à Corinthe !
Cette fantaisie hérétique d’anticipation est dénoncée ironiquement par Paul au chapitre 4.8 : « dès à présent vous êtes rassasiés ? Déjà vous voilà riches, vous avez commencé à régner sans nous » !
L’apôtre leur rappellera (chapitre 15) donc le bon dépôt de la foi et notamment que la résurrection des corps fait partie intégrante de l’espérance de l’Evangile. Peu importe que cela paraisse ridicule à certains, déraisonnable à d’autres, la nier, c’est nier la résurrection du Christ.
Et si Christ n’est pas ressuscité leur dit-il, nous sommes perdus et pitoyables (15.19).
La foi chrétienne est un dépôt avec des termes bien précis qui ne sont pas modulables, tout se tient, ils doivent se tenir en lui.
C de « Soyez courageux ! »
Troisième exhortation que Paul laisse en conclusion aux Corinthiens. On pourrait traduire cela aussi par comportez-vous en hommes ou de manière plus littérale : « faites preuve de virilité ! ». Ne vous inquiétez pas mesdames, cela vous concerne aussi !
En effet, la cause de l’Évangile, de par ses enjeux, nous demande du courage à tous et à toutes. C’est-à-dire de l’investissement pour la bonne nouvelle, parfois des prises de position personnelles, dans nos familles, au sein de notre travail. Des prises de position dans nos églises, au sein de nos conseils, dans notre union, de l’engagement ! Toujours sous-tendues par le principe de toute action spirituelle, l’amour.
Le courage ! on est très loin n’est ce pas, comme le disait Jacques Ellul, de l’image du chrétien dans les jugements populaires. Mais si, vous savez, le bon type un peu bête, médiocre, hésitant.
On est même très loin, oserais-je rajouter, de l’image du chrétien « spirituel » qu’on retrouve dans nos églises. Mais si, vous savez, celui ou celle qui n’affirme jamais, qui ne s’affirme jamais, qui ne tranche jamais ou pas vraiment.
Une question se pose néanmoins : Comment cultiver le courage ? Puisque c’est ce que l’apôtre leur demande.
Non pas en regardant dix fois le film Gladiateur ou Catwoman, en pensant que cela influera sur mon attitude, mais par une compréhension continue de l’Évangile. En effet, si je comprends bien, et que je continue à bien comprendre, la préciosité de ce message, ce qui en découle, les enjeux, je suis sûr que le courage viendra (sur)naturellement avec l’aide du Seigneur, par Son amour.
Je ne dois donc pas me focaliser sur le fait d’avoir du courage, mais je dois me focaliser sur l’Évangile qui me donnera du courage.
Remarquez d’ailleurs que le « Tenez-vous ferme dans la foi », vient avant l’injonction d’avoir du courage.
L’apôtre Paul se montre d’ailleurs pour les Corinthiens un modèle de courage spirituel. Lui qui préfère prêcher le message de l’Evangile, plutôt que de tout faire pour être apprécié (1 Cor 2.2). Lui qui n’hésite pas à trancher pour le témoignage de l’Église et la gloire de Dieu, dans le cas de l’inceste au chapitre 5 verset 9 en disant « N’entretenez pas de relation avec celui qui tout en se disant votre frère vit dans la débauche » . Lui qui n’hésite pas à parler d’argent et à les rappeler à la collecte pour l’église de Jérusalem dont ils étaient les instigateurs mais qu’ils avaient du mal à concrétiser par des actes.
Continuons avec le F, comme « Soyez forts » ou « Fortifiez-vous ».
Alors, avant de vous précipiter dans une salle de sport pour travailler vos abdominaux ou vos pectoraux, sous prétexte que vous avez compris que Paul nous invite à être forts, écoutez plutôt ce que l’apôtre nous propose comme programme pour devenir fort, ce que veut dire pour lui être fort.
Dans l’épître aux Corinthiens, comme dans toutes les autres lettres où ce même verbe ou son équivalent apparaît, l’apôtre met en avant que c’est le Seigneur qui rend un homme, une femme forts.
Dans l’épître aux Éphésiens, chapitre 3 verset 16, Paul prie pour ses lecteurs, afin qu’il soient fortifiés ( ici « κραταιοω », même verbe qu’en 1 Corinthiens 16) avec puissance par son Esprit dans leur être intérieur ! Par quel moyen ? grâce à une meilleure compréhension de l’Évangile jour après jour « que le Christ habite dans votre cœur », encouragé par la puissance de l’Esprit qui a inspiré les Écritures. Il y a ici dans ce passage un lien étroit entre l’Esprit et la Parole.
Autre question légitime : se fortifier pour quelle tâche ?
Notons, même si cela n’est pas exhaustif, que Paul dira dans la deuxième épître à Timothée, que Dieu, alors qu’il était abandonné de tous, l’a délivré et fortifié5 pour la prédication de la parole, afin que les non-croyants l’entendent. La force du Seigneur concerne ici la mission (2 Tim 4.17).
Bref, l’homme ou la femme du Seigneur est appelé à l’humilité, cette force qui nous permet de rester sur le bon chemin. C’est une force qui survient non pas par des techniques humaines, des aptitudes personnelles naturelles, des « stages de spiritualité » particuliers qu’il faudrait faire à tout prix, réservés à quelques initiés pour se découvrir soi-même pour devenir enfin forts. C’est une force qui puise sa source en Dieu, en sa parole, encouragée par l’action de l’Esprit !
Citons, pour terminer, l’apôtre qui encourage Timothée, alors en proie à un « gros coup de mou » non pas en utilisant des techniques de développement personnel mais en lui rappelant simplement qui est Dieu : « ce n’est pas un Esprit de lâcheté ni de poltronnerie que Dieu nous a donné lui dit-il mais un esprit notamment de force » (2 Tim 1.7).
Que la force soit avec vous ! Je veux bien sûr parler de celle du Seigneur.
Enfin, survolons le A comme aimer
Dernière recommandation que l’apôtre laisse dans notre VTCFA et pas des moindres ! il s’agit ici d’un substantif « que parmi vous tout se fasse avec amour ! C’est un rappel de l’agent essentiel qui permet de rester équilibré dans ma pratique chrétienne. L’amour qui manquait tant à certains Corinthiens et qui leur faisait commettre des erreurs considérables dans l’exercice de leur foi.
Rappelez-vous par exemple, que certains dans cette communauté se vantaient de pouvoir manger de tout (chapitre 8) même des viandes sacrifiées aux idoles puisque qu’ils « savaient » disaient-ils que les idoles ne sont rien (v.4).
En effet, leur dira l’apôtre, les idoles ne sont rien (v.5-6) ce que proclame déjà l’AT6 mais il leur pose une question : Comment va réagir un frère, qui est beaucoup plus marqué qu’eux par l’idolâtrie et ses pratiques lorsqu’il va me voir manger de la viande sacrifiée aux idoles dans un temple païen ? Ne sera-t-il pas troublé, voire tenté de revenir à son ancien culte ? Ma liberté, qui découle de ma connaissance, sera alors, paradoxalement, une pierre d’achoppement pour lui. « Non ! » leur dira Paul, ma liberté qui vient de ma connaissance doit toujours être soupesée par l’amour qui édifie (v.1).
Søren Kierkegaard disait : « La règle chrétienne, en effet, veut que tout, tout serve à édifier. Une spéculation (ou , pourrais-je le rajouter, tout autre chose) qui n’y aboutit point est, du coup, a-chrétienne7 ».
Mes frères, mes soeurs, pour cette nouvelle année, entendons à nouveau ce « slogan » dans notre contexte de vie personnelle et au sein de la communauté christique.
1-Veillons
La veille demandée aux Corinthiens est un rappel pertinent qui dépasse la simple situation de ces croyants de Corinthe. « Maranatha ! » rappelait Paul (1 Cor 16.22), Jésus revient et après 2000 ans nous l’attendons encore. Nous sommes donc appelés de fait, nous aussi, à veiller. Faisons donc attention aux agents soporifiques propres à notre époque, je veux parler de tout un tas de philosophies d’aujourd’hui qui peuvent nous anesthésier et nous faire passer à côté du but. Le bien-être par exemple, le bonheur selon le monde, qui petit à petit nous fait voir les exigences de l’Évangile d’un mauvais oeil, nous fait reléguer la spiritualité au deuxième plan. Citons aussi, la multiplicité des bonnes causes dans lesquelles on pourrait s’engager tant l’injustice s’accroît ici-bas, avec le risque de nous faire dévier de la cause qui traite vraiment le problème du coeur humain, la bonne nouvelle de Jésus-Christ. Alors, veillons frères et soeurs, ne nous laissons pas endormir par l’air ambiant.
2-Tenons nous fermes dans la foi
Nous qui vivons, dans une société ou certains éléments de notre foi paraissent aussi déraisonnables à nos contemporains, nous aurions à l’instar des Corinthiens, la tentation de les transformer, voire de les enlever pour les combiner avec d’autres choses qui ont plus de succès parmi ceux que nous côtoyons. Mais, quels que soient nos défis d’aujourd’hui, notre contexte, nos craintes, nous devons nous tenir fermes dans la foi véritable pour l’amour de Dieu et l’amour des autres !
3-Soyez courageux
Notre temps a besoin de chrétiens courageux, dans leur lutte personnelle face à leur péché, pour briller dans notre monde. Courageux, dans le fait de ne pas avoir peur pour la défense de l’Evangile d’être stigmatisés, caricaturés par la pensée unique ambiante. De chrétiens courageux, quand il faut dénoncer dans nos communautés le péché, lorsqu’il risque de faire lever toute la pâte (1 Corinthiens 5.6-7).
4-Fortifiez-vous
Cultivons cette force dont nous avons grandement besoin en passant du temps à montrer notre dépendance, par la prière et la méditation des Écritures. Que le Christ habite dans nos coeurs, soyons puissants dans le Seigneur, par Sa force souveraine (Ep 6.10).
5-Aimons ! Que parmi nous tout se fasse avec amour
Paul, dans ce passage avertit ses lecteurs, sur les dangers d’une connaissance qui prend le contrôle, et qui produit l’orgueil !
Il ne leur dit pas de faire un choix entre l’amour et la connaissance, il s’élève simplement contre la déviance consistant à appliquer leur connaissance théologique sans réfléchir notamment aux conséquences sur leurs frères et soeurs.
Nous qui vivons au XXIe siècle, nous savons peut-être mieux qu’aucune génération précédente que la connaissance sans amour de l’autre, sans penser à l’autre, conduit à faire des folies et même parfois à la folie meurtrière. La connaissance scientifique aujourd’hui est de plus en plus grande et impressionnante et on peut dans un certain sens remercier Dieu qui dans son immanence nous bénit souvent à travers de causes secondes8.
Mais, nous savons aussi que, dans certains domaines, la connaissance médicale est de plus en plus appliquée sans amour, mise au service de la« liberté individuelle », du sujet tout puissant, au détriment de l’intérêt de l’autre et notamment du plus faible.
Notre monde en général souffre d’un abus de libertés personnelles, qui marchent de plus en plus sur les droits des autres. Qu’il n’en soit pas ainsi dans nos vies, au sein de nos églises, dans nos familles, brillons dans ce monde étouffé, paralysé par l’égoïsme.
La connaissance de Dieu nous pousse à chercher, poursuivre l’amour, pour toutes choses et notamment l’amour de l’autre.
En effet, si je comprends et que je continue à comprendre l’Évangile, à savoir que le Fils n’a pas considéré ses intérêts, mais qu’il a considéré les nôtres en venant nous servir, je ne peux marcher sur mon frère ou sur ma sœur sous prétexte d’avantages ou de droits personnels (Ph 2).
Le Seigneur, Lui qui est amour, qui est la seule mesure de l’amour, me démontre son amour et m’invite à mon tour à aimer selon cette mesure, c’est à dire sans limite.
Considérons donc nos vies, notre service, sous le prisme de la croix pour penser en lui toute action !
Comment faire, pour que ma veille ne se transforme pas en mirador spirituel, tirant à tout va sur tout ce qui ne vit pas ou ne pense pas comme moi, sans réflexion ?
Comment faire pour que le zèle pour la foi ne se transforme pas en dureté ?
Comment faire pour que le courage ne se transforme pas en témérité ?
Pour que la force pour l’Évangile ne devienne pas de la violence ?
Grâce à la miséricorde de Dieu, qui nous pousse à réfléchir nos actions, au travers de Son amour.
Bonne année et VTCFA !
NOTES
1 On date le début du sophisme au V ème siècle av.-J.-C.
2 Le paralogisme
3 Je vous ramène à la réaction des Athéniens lorsque Paul leur parle de résurrection (Cf Actes 17.32)
4 C’est le néo-platonicisme plus tard qui généralisera ce genre de pensée. Elle débute néanmoins au premier siècle avec un certain Philon d’Alexandrie.
5 Ici ενδυναμοω
6 Esaie 44.6-10
7 Søren Kierkegaard, Miettes philosophiques, Le concept de l’angoisse, Traité du désespoir, Ed Gallimard, 2017, p.339.
8 Pour aller plus loin sur ce sujet je vous ramène à l’article sur « la question des miracles aujourd’hui », dans «Pour une foi réfléchie » p.444.