Quelles perspectives pour les CAEF en 2021 ?

Rêver l’avenir en l’absence d’horizon…

L’année 2020 a mis à mal nos projets et nos manières de faire. Nos bons vœux sont du coup bien difficiles à formuler car s’il y a une certitude aujourd’hui, c’est bien celle de l’incertitude qui est devant nous !

La crise que nous traversons met à mal, dans la forme, nos pratiques, mais elle ne remet pas en question le fond de la mission de l’Église. Si donc les perspectives 2021 ne peuvent se traduire par des plans d’actions précis, trop sujets aux aléas de la propagation du virus, elles doivent être repensées au travers du filtre de notre vocation et de nos valeurs. Il y a certainement ici une opportunité à saisir pour se recentrer sur l’essentiel et mettre fin à la tyrannie de nos agendas.

« À force de sacrifier l’essentiel à l’urgence, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. »
Edgar Morin

Ces perspectives ont donc pour but d’ouvrir un horizon qui ne dépend pas des circonstances, favorables ou hostiles. En tant qu’union d’Églises, nous voulons participer à l’œuvre de Dieu, l’avancement de son Royaume en France, au moyen d’Églises en bonne santé. C’est la mission à laquelle nous sommes appelés.

Tout le monde le sait, on « n’attrape pas la bonne santé ». C’est plus un objectif auquel participent, en ce qui concerne le corps humain, notre hygiène de vie, notre alimentation, notre activité et notre âge. Si la bonne santé ne nous immunise pas contre toutes les infections, elle nous permet néanmoins de mieux y résister et de mieux les combattre. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. »

De la même manière, au niveau du corps de Christ, l’Église, on ne peut penser la bonne santé en se limitant à la recherche de vaccins qui l’immuniseraient contre tous les problèmes. Plutôt que de chercher à « lutter contre », allons plutôt puiser dans nos essentiels ce qui contribue à la bonne santé de nos Églises, indépendamment de ce qui est mis à mal par les restrictions sanitaires liées à une pandémie.

C’est dans cette optique que je vous propose d’investir les cinq domaines suivants :

  1. Écouter Dieu pour entendre ce qu’Il nous dit

Eccl 7,13-14 : « Regarde l’œuvre de Dieu : qui pourra redresser ce qu’Il a courbé ? Au jour du bonheur, sois heureux, et au jour du malheur, réfléchis : Dieu a fait l’un comme l’autre, afin que l’homme ne découvre en rien ce qui sera après lui. »

L’arrêt brutal et contraint de toutes nos activités n’a malheureusement pas été synonyme de repos pour beaucoup d’entre nous. Il a fallu très vite s’adapter et trouver des moyens pour suppléer au vide et remplir à nouveau nos agendas en nous concentrant souvent davantage sur la forme que sur le fond. À cela est venue s’ajouter une offre pléthorique de cultes sur internet qui a exacerbé un mode consommateur avec la possibilité de zapper au gré de notre humeur et de nos goûts.

Au point où nous en sommes, cela nous oblige à repenser la raison d’être de nos activités et de nos rassemblements. Sommes-nous devenus dépendants du programme de l’Église pour remplir notre mission ? Quel est le but essentiel de l’Église rassemblée ? En plus de l’urgence, ce besoin de remplir le programme avec des activités, toutes aussi bonnes les unes que les autres, participe à ajouter une pression supplémentaire, à alimenter une suractivité, choisie ou subie, qui nous épuise.

L’accélération de nos vies rend de plus en plus difficile la déconnexion, favorise la superficialité au détriment de la profondeur. Ralentir est devenu un combat, s’arrêter inenvisageable. Vivre vite pour ne pas mourir, telle est la devise du monde moderne qui s’est infiltrée dans notre vie spirituelle et qui n’a pas disparu malgré les confinements !

Dans ce contexte, il est une valeur immuable et fondamentale qu’il nous faut cultiver : l’écoute de Dieu qui nous permet d’être en phase avec ce que Dieu est déjà en train de faire sans que nous le voyions immédiatement. Prière, silence, solitude, étude, lecture et méditation de la Parole : ces disciplines sont autant d’opportunités pour écouter Dieu, individuellement mais aussi collectivement.

« La prière ne consiste pas à obtenir de Dieu qu’il fasse une chose dont je pense qu’elle doit être faite, mais à devenir conscient de ce que Dieu fait pour que je puisse m’y associer » Eugène PETERSON

Développer notre discernement collectif pour s’associer à ce que fait Dieu, voilà une perspective dans laquelle nous pouvons nous inscrire et qui ne dépend que de l’ordre que nous voudrons bien mettre dans nos priorités.

  1. Expérimenter la grâce

Le « faire » est tellement prédominant dans nos critères d’évaluation que « l’être » est souvent négligé, au prix de situations qui deviennent inextricables. Notre système de formation évalue l’apparence. Nous prenons trop souvent pour acquis que la maturité vient avec l’âge, sans prendre en compte l’accompagnement et le traitement nécessaires de nos fêlures et de nos conflits intérieurs.

Pour que l’Église soit réellement « L’endroit le plus sûr du monde » (pour reprendre le titre d’un ouvrage de Larry Crabb), il nous revient de maintenir un cadre bienveillant dans lequel chrétiens et « pas encore chrétiens » ont la possibilité d’être vrais, authentiques, avec leurs faiblesses et leurs échecs, de vivre « sans masque ». Des relations de confiance, au sein d’un environnement de grâce, sont indispensables pour créer un tel espace de sécurité propice à l’intégrité, à la formation du caractère et à la croissance. C’est dans ce terreau que nous pouvons intégrer ce que nous faisons avec qui nous sommes.

Ce cadre propice à l’accueil de la différence peut aussi se décliner à l’échelle de l’union d’Églises. De par son héritage et son histoire, il se trouve, au sein de notre union et dans le cadre de notre confession de foi, une certaine diversité que nous voulons recevoir comme une richesse. Mais c’est au travers de relations profondes et authentiques, dans un climat de confiance et respectueux de l’avis différent, que cette réalité pourra être vécue.

Dans ce domaine, la perspective est donc de favoriser la formation d’une génération de leaders et de responsables pour nos Églises qui seront en mesure d’accueillir avec bienveillance cette diversité et de veiller au cadre qui le permet.

  1. Revisiter nos structures

Jr 31. 28 : « Comme j’ai veillé sur eux pour déraciner, pour démolir, pour raser, pour faire disparaître et pour mettre à mal, ainsi je veillerai sur eux pour bâtir et planter… »

C’est peut-être le moment de réentendre Jérémie, prophète au temps de l’instabilité, recevant, à l’heure du péril, l’ordre divin de se rendre au temple pour interpeller ceux qui en font un talisman protecteur. Cessez d’invoquer le « Temple du Seigneur » ! C’est une autre fidélité, une fidélité de cœur, qui est requise d’Israël à cette heure de crise !

Face aux risques de scléroses, d’immobilisme institutionnel et religieux qui menacent l’Église -en tous temps ! -, le travail de la vie et de la croissance ne passe-t-il pas aussi par l’accueil du nécessaire démantèlement des structures mortes ? Cela peut ressembler à de véritables deuils tant nous pouvons être attachés à ce que nous avons élaboré.

Constamment questionner et adapter nos structures pour soutenir la vie et la croissance. Cela demande à la fois une vision et du courage, mais c’est aussi ce qui permet l’éclosion de nouveaux talents et la réalisation de projets novateurs. Cette dynamique, fruit de notre écoute de Dieu mentionnée précédemment, dépend de notre aptitude à laisser celui qui est la tête du corps régner en maître sur son Église.

  1. Mutualiser nos ressources

La prise en compte de la réalité de l’Église au-delà de sa dimension locale nous a permis de dépasser le strict congrégationalisme auquel nous sommes historiquement tellement attachés. La mise en commun de ressources pour la formation des cadres de nos Églises, les ministères transversaux, la gestion administrative des serviteurs et la structuration de l’union nous permet de nous développer de manière plus efficace.

La synergie dont nous avons fait notre slogan depuis 2013 nous a permis d’accomplir des progrès pour le développement des Églises et ultimement l’annonce de la Bonne Nouvelle. Mais une plus grande mutualisation nous permettrait d’aller encore plus loin.

Nous pourrions :

  • Faire de notre diversité une richesse en mettant à profit la complémentarité de nos Églises à l’image de la complémentarité des dons au sein d’un conseil d’anciens

  • Partager des ressources humaines, plein-temps ou pas, au sein d’un réseau d’Églises géographiquement proches.

  • Trouver, dans nos Églises, les talents qui rendront la créativité possible pour le bien de tous

  • Mettre en place une solidarité entre Églises, un échange gagnant-gagnant, avec une vision de soutien et de croissance

Cette mutualisation existe déjà à différents niveaux entre quelques Églises et au sein de certaines régions. Mais pour se mettre en œuvre, elle nécessite l’émergence d’un nouveau type de ministères capables de développer des réseaux et animer la gouvernance associée.

  1. Impacter la culture

Nos Églises doivent être missionnelles ou le devenir, et le rester, crise ou pas !

« Missionnel » est simplement l’adjectif qui correspond à « être en mission ». Une Église missionnelle est donc une Église qui oriente tout ce qu’elle fait et ce qu’elle est vers la mission du Dieu trinitaire envers le monde. Voici ce que déclare Lesslie Newbigin en parlant de l’Église missionnelle : « Là où l’Église est fidèle à son Seigneur, là la puissance du Royaume est présente et les gens commencent à poser les questions auxquelles l’Évangile est la réponse. Et c’est pourquoi, je suppose, les lettres de Paul contiennent tant d’exhortations à la fidélité mais aucune à être actif dans la mission ».

Grâce au confinement, beaucoup de nos cultes sont devenus publics. Il est notoire de constater que le nombre de vues dépasse largement le nombre de membres ! Les rassemblements virtuels ont donc réussi à faire sortir l’Église de ses murs, malgré elle ! Il reste à transformer l’essai pour que le message ainsi diffusé soit compréhensible et incarné.

Dans les faits, le message véhiculé dans nos Églises le dimanche est trop souvent déconnecté de la réalité de la vie courante qui nous occupe six jours par semaine. De manière implicite, nous nous désintéressons de la vie hors de l’Église et nous n’encourageons pas les chrétiens à remplir leur mission de témoins sel et lumière du monde. Or c’est bien lorsque l’Église est dispersée qu’elle incarne, aux yeux d’un plus grand nombre, la Bonne Nouvelle. Mais pour que la présence de chaque chrétien ait un réel impact dans sa sphère d’influence (famille, voisins, collègues, amis…) il faut qu’il prenne conscience de la mission qui est la sienne en dehors du programme de l’Église rassemblée.

Il nous faut ici changer notre manière de penser et d’agir pour adapter, non le contenu de notre message, mais notre manière de le communiquer, pour prendre en considération le contexte culturel dans lequel nous nous trouvons, prendre le temps de comprendre la vision du monde de notre interlocuteur. L’exemple de Jésus est le plus parlant sur ce point.

Cette redéfinition du rôle de l’Église modifie les buts des ministères et oblige à une revisite du travail pastoral. Au lieu de nous concentrer uniquement sur les 20% de membres qui sont en difficulté et les 25% de ceux qui sont au service dans l’Église rassemblée, il va falloir former des disciples qui sont des témoins 24h sur 24 et 7 jours sur 7, équipés à servir dans le monde. Le contenu des prédications et l’enseignement doivent contribuer à cette compréhension et à l’appropriation de cette vision qui nous décentre de nous-mêmes pour nous concentrer sur l’œuvre du Dieu missionnaire qui est déjà en action.

Dans quelle mesure les activités de l’Église et le focus de la vie de l’Église participent-ils à cet objectif ? Comment est valorisé, dans l’Église, le rôle de témoin de chaque membre quand l’Église est dispersée ? Dans quelle mesure une évaluation honnête de la vie de l’Église remet-elle en question la conception du ministère ? Qu’est-ce qui est mis en œuvre pour que l’Église ne soit pas seulement le lieu où l’on vient en consommateur pour voir ses attentes personnelles satisfaites ?

La vocation de l’Église n’est pas essentiellement dans le fait de se réunir mais dans le fait d’incarner dans sa vie de tous les jours, au cœur d’un empire sans Dieu, le caractère et le règne actuel de Dieu en Christ.

En conclusion

Rêver l’avenir en l’absence d’horizon : pour certains d’entre nous, cela peut ressembler à un cauchemar et un fardeau supplémentaire. Ce n’est certainement pas l’objectif de ces perspectives. Il serait contre-productif de vouloir « standardiser » des solutions et apporter des réponses toutes faites à des situations tellement différentes les unes des autres. Il n’y a pas la place ici pour ce qui pourrait apparaître comme de l’arrogance de la part de donneurs de leçons.

Et si la première étape n’était pas plutôt de reconnaître notre état de faiblesse afin de nous placer en toute humilité devant le Dieu créateur pour être secourus dans nos besoins ? Le défi est alors de bien vouloir entendre, de la part du Maître, ce qui doit être abandonné pour laisser la place à ce qu’Il veut bâtir. Il sera alors peut-être plus facile de s’approprier ces cinq domaines, non comme des objectifs à atteindre avec nos propres forces, mais dans une dépendance intentionnelle qui laisse la place à l’action de Dieu et, ultimement, à sa seule gloire.

Paul était prêt à se vanter de sa faiblesse, convaincu, par Dieu lui-même, que la puissance s’accomplit dans la faiblesse. Pouvons-nous faire nôtre, en tant qu’union d’Églises, cette compréhension de la puissance de l’Évangile dans l’Église ?

Soph 3.12 : « Je laisserai en ton sein un peuple pauvre (ou humble) et faible, qui trouvera un abri dans le nom du Seigneur. »

Partager