Discerner les temps…

L’union des CAEF face au cas pratique de l’évolution de la loi 

 La fin de l’été a été marquée pour nos Églises par l’aboutissement – dans l’ensemble réussi ! – du processus d’adaptation de nos structures associatives à la « fameuse » loi « confortant le respect des principes républicains ». Nous sommes reconnaissants pour le précieux travail d’information, d’explication et de conseil réalisé par le CNEF et par l’Entente Évangélique, permettant de baliser et de faciliter un processus fastidieux. Alors, c’est fait, on tourne la page, on passe à autre chose ?

Pas si vite !
Les réactions que cette loi a suscitées tout au long de sa discussion, jusqu’à son vote, méritent peut-être de réfléchir un peu plus au sens de ce qui se joue pour nous avec cette loi, d’autant qu’elle laisse chez beaucoup un petit sentiment d’insatisfaction (euphémisme)… Certains parleraient même de « restriction des libertés »… Ou, au moins de « stigmatisation des religions »… pour une « efficacité » qui reste entièrement à démontrer… 

Certes ! Mais quelle que soit la part de vérité de ces reproches faits à la récente loi, est-ce bien là ce que les Églises devraient retenir ? Est-ce vraiment ce que le Seigneur veut montrer à son Église dans la période par ailleurs troublée que nous traversons ? Je vous propose une autre hypothèse : cette loi est un élément de discernement, par lequel le Seigneur nous invite à mieux comprendre l’Église telle qu’il l’a voulue et la veut encore – ou de nouveau – aujourd’hui ! 


Une interprétation à la lumière de l’Évangile ? 

L’Écriture elle-même pourrait en effet nous inviter à une compréhension plus affinée et à une lecture plus active des évolutions de notre société, en les resituant dans le grand récit de la victoire de Jésus-Christ sur le péché et sur la mort. Ce grand récit nous place dans une trajectoire au bout de laquelle Jésus-Christ, notre Seigneur, sera définitivement reconnu comme Seigneur. Mais, il est déjà Seigneur, et il règne, y compris quand les choses ne vont pas toujours « dans le bon sens » pour nous aujourd’hui… Dont cette loi.

Il est déjà Seigneur, et il règne aussi sur son Église qui le reconnaît et qu’Il fait vivre, Son église, qu’Il conduit par Sa Parole et les dons faits par son Esprit.
L’Église, quelle que soit l’époque, est le projet de Dieu pour annoncer et incarner l’Évangile.

 

Le Seigneur nous inviterait-Il à « discerner les temps » ?

Quand on dit que le Seigneur « conduit » l’Église, il faut préciser d’emblée qu’Il ne nous donne pas de recettes clé-en-main : par Sa Parole et son Esprit, il nous donne le fondement, des grandes directions, des principes pour la marche, un cap à suivre, mais aussi l’intelligence et la force pour les mettre en œuvre dans notre contexte, pourtant si éloigné du premier siècle dans lequel le Nouveau Testament a été écrit.

Il est toujours utile (et plus encore dans notre période troublée !) de nous rappeler que, par Sa Parole, Dieu se fait connaître, nous fait connaître l’Évangile et nous donne des directions pour vivre et incarner l’Évangile aujourd’hui. Des directions, et pas des « recettes », et encore moins un horoscope pour la semaine, les mois ou les années qui viennent ! Le Dieu révélé en Jésus-Christ est le Dieu de l’alliance, qui honore son partenaire d’alliance. Ainsi, par son Esprit à l’œuvre au sein d’un peuple à l’écoute de la Parole, Il lui permet de discerner le chemin à suivre, de comprendre ce que Dieu attend de lui à ce moment-là. 

Il n’y a évidemment pas de « nouvelle révélation » à attendre après la Révélation de Jésus-Christ que l’Ancien Testament prépare et que le Nouveau Testament expose. Mais il est nécessaire de comprendre ce que cette Révélation définitive implique aujourd’hui, ce qui rend nécessaire un exercice délicat, celui de « discerner les temps ». L’attente d’une parole d’en haut qui, à chaque instant, nous dirait que faire serait un comportement infantile face à l’exigence de discernement ou d’intelligence des temps.

Cette intelligence était, semble-t-il, une qualité « cultivée » dans la famille d’Issacar (1 Chr 12,33), dont les fils étaient capables de discerner ce qu’Israël devait faire selon le temps et les circonstances. C’était une qualité « manquante » chez les auditeurs de Jésus, en particulier les pharisiens et les saducéens, qui savaient prévoir la météo selon la couleur du ciel mais qui, bien qu’ils connussent les Écritures (pour la partie existante à cette époque), ne savaient pas « voir » ce qui était en jeu en leur époque, alors qu’ils avaient en face d’eux le Fils de Dieu qui les enseignait (Mt 16,3). 

Ce très précieux « discernement des temps » est parfois mal compris comme une capacité à « prédire » ce qui va venir, la révélation de « secrets » sur le monde, ou la communication instantanée de directives. Et si ce « discernement des temps » consistait principalement à savoir bien interpréter comment la situation présente, les enjeux de notre temps, les difficultés que nous rencontrons nous ramènent à l’Ecriture et à ce qu’elle révèle de Christ pour que nous, son Église, nous ajustions à la Révélation ? 


Une loi au service du Seigneur ? 

Ainsi, pour en revenir à cette fameuse « loi séparatisme », nous devrions peut-être nous poser la question : Et si Celui que nous confessons comme Seigneur s’en servait comme d’un « aiguillon » pour son Église en France, en particulier pour nous « évangéliques » ? Le regard que nous avons porté sur cette loi pourrait-il nécessiter un complément, voire une conversion ? La fatigue, le stress, l’inquiétude, voire le ressentiment qu’elle a pu susciter ne nous aideront pas dans notre mission. Une posture victimaire ne correspondrait pas à la manière dont nous sommes appelés à incarner l’Évangile par rapport aux autorités (1 Pi 2,13-17)… 

Observons plutôt quel a été l’effet de cette loi pour nous ? Elle nous a montré la nécessité accrue de développer la solidarité entre Églises locales et la pertinence de structures permettant de mettre en commun les forces et les ressources des assemblées.

Du point de vue juridique et comptable, il vaut mieux rassembler les moyens de répondre aux exigences qui deviennent inaccessibles à de petites structures laissées à elles-mêmes.
Vous me voyez venir avec mes gros sabots : « vive l’union d’Eglises ! » et « vive le CNEF ! »
Est-ce le « bon » discernement à tirer des « temps » que nous imposent les services de l’Etat ? Il est sûrement juste d’être reconnaissant pour tout ce que nous apportent ces structures. Mais est-ce suffisant ?

Si notre solidarité relève du seul « égoïsme de communauté », de l’intérêt de chaque Église locale prise individuellement, il ne s’agirait là que de dispositions pratiques, fonctionnelles sans signification particulière… Faisons un « zoom arrière » et prenons un peu de recul sur la vie de nos Églises. Depuis plusieurs années déjà, nos besoins très concrets (administratifs, financiers mais aussi en termes de ministères) nous conduisent peu à peu à chercher à mieux collaborer, à mettre en commun des ressources, à renforcer nos liens d’unité et à travailler en synergie. 

Ne peut-on pas discerner qu’en nous conduisant ainsi, et de façon renforcée par cette loi, le Seigneur pourrait dire quelque chose à son peuple sur ce qu’est l’Eglise, selon Son plan ? Non pas qu’Il dirait quelque chose de tout nouveau, mais au contraire, quelque chose de très ancien, qu’il nous faut retrouver aujourd’hui : oui, l’Eglise est un organisme vivant qui dépasse et doit dépasser les murs de chacune de nos Eglises locales.

L’Eglise locale est au cœur du projet de Dieu, mais elle l’est en tant que manifestation de l’Eglise de Jésus-Christ, cette Eglise par laquelle Dieu expose sa sagesse étonnante au monde spirituel (Eph 3,10). Cette Église qui est un corps et qui est appelée à « faire corps » (Eph 4).

Cette loi ne nous incite-t-elle pas justement à « faire corps » plus concrètement ?

Si l’on discerne que cette loi s’impose à nous à ce stade de la vie de notre (bien jeune) union d’Eglises, alors nous réalisons que la nécessité de progresser dans la mise en commun de moyens au service de la mission que le Seigneur nous donne ne relève pas seulement d’une « optimisation » dans l’adversité. C’est bien plus profond ! Ce que Dieu confie et donne dans une Eglise locale, il le confie et donne pour Son Eglise (ici ou ailleurs), et chacune est en réalité intendante de biens que le Seigneur veut utiliser pour Sa mission dans et au-delà de l’Eglise locale, pour bâtir Son Église. Ainsi, Paul montre en Eph 4,11s que Dieu donne des ministères, mais l’on constate en les regardant de plus près qu’ils sont donnés à l’Église, et pas exclusivement à une Église. 

En permettant que nous soyons frustrés par une loi que nous jugeons peut-être liberticide, il ne faudrait pas se tromper de combat : sans nier la nécessaire vigilance face aux évolutions de notre pays, nous n’avons pas à combattre un Etat trop exigeant, éventuellement athée, potentiellement persécuteur, mais peut-être d’abord l’immaturité de notre compréhension de ce que Dieu dit sur l’Eglise.

Alors que les évangéliques ont historiquement été les grands champions de la redécouverte de l’importance capitale de l’Eglise locale, ils l’ont peut-être trop souvent comprise à la lumière de notre culture individualiste occidentale : « mon » Église, « nos » moyens », nous donnant peut-être le sentiment satisfaisant d’avoir un certain contrôle, voire un droit sur l’Église… 

Bref, nous nous sommes souvent pris pour des propriétaires alors que nous étions de modestes gérants au service d’un projet infiniment plus grand qui implique une indéfectible solidarité et une persévérante collaboration non seulement au sein des églises locales, mais entre elles, par des liens concrets et engageants. Et cela en vue du projet de Dieu, par l’Évangile de Jésus-Christ et dans la puissance de l’Esprit, de construire un corps… 

Dans cette perspective, nous réalisons que notre rôle, au niveau des Églises et de l’Union, n’est pas simplement de « nous adapter aux besoins concrets », même si cela en fait résolument partie, mais d’abord de discerner ensemble ce que le Seigneur dit à son Église en ces temps particuliers… 

Jacques Nussbaumer,
Membre de la CSR  

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