Transmettre…

En ce début d’année, une réflexion à nourrir dans nos Églises…  

Il arrive un âge où l’on réalise plus clairement que chaque année qui passe nous rapproche de l’heure où il faudra passer la main ! C’est une loi inéluctable du service à laquelle nous devons tous nous résoudre. Je saisis l’occasion de ce début d’année civile pour questionner nos réactions et autres appréhensions, indépendamment de la distance qui nous sépare de la date fatidique où nous devrons effectivement nous retirer.  

En toile de fond
La conclusion des assises de la formation organisées par le CNEF a fait apparaître ce constat alarmant : il faudrait former 1 000 pasteurs pour (seulement) remplacer ceux qui vont partir à la retraite durant les 10 prochaines années. Et ce ne sont pas les solutions de formations qui manquent :  l’offre est multiple, variée dans la forme et sur le fond. Ce sont les vocations qui manquent et, du même coup, la volonté d’investir le temps et les moyens nécessaires à une véritable formation. 

Le même manque se fait sentir quand il s’agit de trouver des anciens dans nos Églises. Les hommes capables sont chargés de famille, occupent un emploi légitime et parfois passionnant qui accapare toute leur énergie et leur temps. La charge de l’anciennat, même si elle est qualifiée de belle œuvre (1 Ti 3.1) et à ce titre pourrait être désirée, se rajoute à un emploi du temps déjà trop chargé. À cette pression se pose la question de la formation, indispensable mais difficilement conciliable avec la vie quotidienne. Résultat : bon nombre de nos assemblées ne comptent qu’un ancien ou pas d’ancien du tout, nous dont l’ecclésiologie prône la sacro-sainte collégialité ! 

À l’heure où les formations et les méthodes pour multiplier pullulent, comment expliquer cette carence ?  Je me risque à donner quelques pistes… 

L’image du service
Les temps changent, ce n’est ni bien ni mal, c’est un fait. La génération de ceux qui ont sacrifié leur vie de famille et parfois professionnelle pour se consacrer à « leur Eglise locale » est en voie de disparition et le modèle ne suscite pas beaucoup d’enthousiasme chez les générations X, Y et Z. Un nécessaire rééquilibrage s’est opéré pour une plus juste considération de la famille et du lieu de travail comme terrain de mission. Aujourd’hui il faut apprendre à raisonner en termes de dons, missions, mandats et c’est plutôt une bonne chose pour une collégialité bien vécue et féconde.  

 Servir ne veut pas dire être corvéable à merci pour faire tout ce qui DOIT être FAIT. Si les membres du corps sont interdépendants dans leur service à cause de la différence des dons qui sont donnés à chacun (1Co 12.27), alors cela devrait, à fortiori, être explicite au sein d’une équipe de responsables. Les anciens ne sont pas interchangeables ni égaux dans la charge qu’ils peuvent porter et assumer. Il y a donc une certaine sagesse à expliciter les contours de la mission qui est confiée à chacun et la durée du mandat qui lui est consacrée.  

L’engagement à vie pour un service en réponse à un besoin, sans qu’il soit toujours en adéquation avec les dons, peut décourager les vocations.

Il faudrait aussi peut-être questionner certaines activités de l’Eglise qui surchargent l’agenda mais qui ne servent qu’au « fonctionnement » de l’Eglise au détriment de l’essentiel.  Donner un sens au service, même si celui-ci ne correspond pas parfaitement à un don, est nécessaire et les nouvelles générations ont besoin de défis renouvelés pour entretenir leur motivation.  

L’image du plein-temps ou de l’ancien solitaire ou « seul contre tous » ne fait plus rêver personne et si la fidélité à l’institution était une valeur suffisante, elle ne l’est plus car le rapport à l’institution a changé. Mais ce n’est certainement pas une raison pour négliger l’institution qu’est l’Eglise, cette fidélité doit être valorisée. Même si aujourd’hui c’est le réseau qui prime, réseau au sein duquel les relations se tissent et se développent, il doit pouvoir se constituer au sein de l’institution. Comment faire vivre cette tension pour que cette tendance soit vraiment au service de l’Évangile que Dieu a choisi de répandre par l’Eglise ? 

Des exigences inatteignables
Je remarque que plus une église grandit en maturité et en taille, plus il devient difficile de « trouver des anciens » alors qu’à priori, cela devrait être le contraire. Dans la vie de l’Eglise, les exigences liées au leadership évoluent avec sa structuration, et le niveau requis pour être en responsabilité augmente avec les générations qui se succèdent, au risque de voir les plus jeunes disparaître totalement des équipes de gouvernance. 

L’équipe pionnière formée des trentenaires qui ont fondé l’Eglise travaillait à la façon d’une ruche ou d’une fourmilière. L’objectif était « de fait » commun mais le chemin pour l’atteindre était à découvrir ensemble. On testait, on expérimentait, le modèle de l’Eglise se dessinait en passant par des échecs et des réussites.  

Mais quand apparaît le besoin de former les futurs responsables, avec les meilleures intentions et dans un souci d’excellence, on définit alors des critères pour assurer la pérennité de ce qui a fait ses preuves et qui fonctionne. Il s’agit de maintenir une organisation performante, en assumant que le contexte dans lequel la communauté s’est développée ne va pas changer. Certes, notre culture est plutôt conservatrice, mais une des raisons de ce changement de paradigme est peut-être la peur de l’échec liée à la pression des besoins et l’obligation, toute relative, de réussite.

Est-ce une raison suffisante pour faire « monter les standards » des compétences et qualités requises pour intégrer l’équipe de responsables ? 

Certes on encourage la formation, mais sans le droit à l’échec, la théorie mais sans l’expérimentation, l’apprentissage mais sans le droit à l’innovation. C’est un mal français que d’exiger une expérience de 5 ans minimum en début de carrière ! La nouvelle génération peut ainsi se trouver mise à l’écart, dans l’attente de devenir apte à intégrer le modèle. Et cela n’arrivera pas ! Il serait peut-être bon d’analyser la source de nos réticences à intégrer des plus jeunes, pas encore « au niveau », dans nos équipes d’anciens, au risque qu’ils découvrent que tout n’est pas parfait ! 

 On pourrait bien sûr citer en exemple des expériences réussies ici ou là, mais elles restent marginales dans notre culture d’Églises. Les stages sont essentiellement proposés dans le cadre d’une formation en institut et très peu à l’initiative d’une Eglise. Il existe ici une différence notable avec la culture des Églises ADD dans lesquelles le pasteur principal prend à ses côtés un ou deux stagiaires dans le cadre du parcours d’apprentissage et de formation. Pendant les six ans que dure la formation, le stagiaire est aux côtés d’un pasteur/formateur en mode mentorat pour deux périodes de deux années.  

La peur de déléguer
Accepter que les choses soient faites, pas parfaites, afin de donner l’occasion à un autre de prendre ma place et de la prendre autrement : c’est l’un des défis de la délégation.

Il ne s’agit pas de faire perdurer ce qui a été élaboré, mais d’abandonner pour laisser à l’autre une « vraie place ».

La délégation est dévoreuse de temps et d’énergie, car il faut expliquer, accompagner, évaluer et recommencer encore et encore pour finalement libérer.  Ultimement, la délégation est féconde.  

Je me demande aussi si la réticence à déléguer n’est pas liée à une peur du changement qu’elle pourrait entraîner. Car si déléguer c’est aussi donner à l’autre la possibilité de faire différemment, on peut imaginer que ce soit pour le meilleur. Et là c’est notre valeur identitaire, tellement enracinée dans notre service, qui est mise à rude épreuve. L’observation d’une année sabbatique après 2 mandats d’anciennat permet de travailler sur notre posture en se retirant, pour un temps, de toute responsabilité de direction dans l’Eglise.  

Je pourrais continuer la liste, et vous pourriez certainement encore en rajouter. Mais je voudrais terminer cet édito 2023 en lançant un appel. 

Si nous croyons que c’est Dieu qui bâtit son Eglise en lui donnant les dons qui contribuent à sa croissance (Eph 4) et si nous sommes convaincus qu’il réussira dans son entreprise de construction à l’amener à la stature parfaite de Christ, alors les dons nécessaires à son édification sont déjà bel et bien dans l’Eglise, au moins en germes, peut-être même parmi les nouveaux convertis ou derniers arrivés ! 

Où sont les détecteurs de talents, les Barnabas de nos Églises qui, avant toute autre chose, voient le potentiel et le diamant dans le caillou à l’état brut ?

Qui sont celles et ceux qui vont investir dans la vie de celui qui aujourd’hui se pense inutile pour le Royaume ?

Certes c’est Dieu qui appelle, mais nous pouvons créer un cadre favorable à l’écoute de cet appel. Ce cadre, c’est celui de la grâce, celui dans lequel les plus anciens ont grandi et celui dont les plus jeunes ont besoin pour grandir, à leur côté. 

Et si notre stratégie pour répondre au défi de la transmission en 2023 était, tout simplement, d’accepter de perdre pour gagner ? (2 Co 8.9) 


Pierre Bariteau
Secrétaire Général de L’Entente Evangélique des CAEF

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