Monologue d’un crucifié…

Luc 23.43

Nous étions quatre…

… quatre hommes, arrêtés alors que nous essayions de libérer Israël de l’oppression romaine. Il y avait Barrabas, notre meneur, Isaac, moi et un autre type, qui n’était pas dans notre groupe de sicaires. Nous les sicaires, on se connaît bien. On nous appelle ainsi parce qu’on porte un couteau à la forme arrondie à la ceinture – pour le cas où on croiserait un Romain… un peu trop esseulé.

Nous étions donc quatre dans la forteresse Antonia de Jérusalem. Prison fraîchement refaite par Hérode. Mais les cellules étaient loin du confort du palais royal.

À notre grande surprise, les Romains ont relâché Barrabas. Depuis la prison, nous avions entendu son nom scandé par la foule. Mais pourquoi les Romains l’avaient-ils libéré ?

Perso, je ne trouve pas ça malin de leur part, parce que de nous quatre, Barrabas est probablement le pire. Vous auriez dû voir sa tête quand les gardes ont ouvert la porte de la cellule et lui ont dit qu’il pouvait partir ! Sidéré, le Barrabas. Et honnêtement, moi aussi !

Du coup, on s’est retrouvés à trois avec Isaac et l’autre que je ne connaissais pas. J’ai appris qu’il ne venait pas de Jérusalem, mais de Nazareth. J’ai pas tout compris de son histoire. Je crois que c’était une sorte de rabbin. Plutôt sympa le gars. Je ne sais pas ce qu’il a fait aux Romains, mais ils l’ont assaisonné. La vache, ils ne l’ont pas loupé. Un vrai traitement de faveur ! Quand on nous l’a amené, il avait des traces de coups un peu partout. Il était pas en bel état. Pourtant il a eu un mot sympa pour moi…

Par la suite, on nous a fait marcher dans les rues de Jérusalem, derrière le centurion. Lui, il se pavanait dans son vêtement d’apparat, pendant que nous, on devait traîner le patibulum, la partie horizontale de notre croix. Ça pèse une tonne ce truc… Et les Romains en profitent pour nous filer quelques coups gratos. Isaac et moi on a l’habitude des coups. Mais le gars de Nazareth, Jésus, qu’il s’appelait, il avait déjà tellement encaissé qu’il n’a pas pu marcher tout le long. En plus, la foule l’avait dans le collimateur. Elle s’en est prise à lui, j’avais jamais vu ça…

C’est à ce moment que j’ai entendu un type dire : « Allez, roi des Juifs, lève-toi ! ». Du coup, je me suis encore plus demandé qui était ce Jésus… En tout cas, ai-je pensé, si lui c’est un roi, moi je veux bien qu’on m’appelle Pilate…

On a donc dû attendre qu’un gars pris dans la foule, un Éthiopien qui s’appelait Simon, vienne porter la croix de ce Jésus qui était au bout de ses forces. Puis on a continué à avancer vers la colline du Crâne. Super endroit. Le séjour qu’on y fait est inoubliable. C’est là où les Romains ont l’habitude de crucifier des gens. C’est pratique : toute la ville peut voir les condamnés. Spectacle assuré !

3 croix

Trois croix ont été dressées pour nous, j’étais à gauche, côté vignes. Isaac à droite côté murailles. Et au milieu, ce Jésus. Franchement, à partir de là, ce n’était plus une partie de plaisir. Au programme, une lente, très lente asphyxie. Y’a pas à dire, point de vue torture, les Romains savent y faire. Ce n’est pas pour rien que nous les sicaires, on veut s’en débarrasser…

C’est alors que devant la foule qui vociférait, j’ai entendu Jésus dire : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font. »

J’ai d’abord été surpris de l’entendre parler. Et de prier, par-dessus le marché. Et il parlait à Dieu comme à son Père.

Je me suis dit que c’était une bonne idée de prier. Ça faisait un moment que je ne l’avais pas fait, en vrai… On le faisait avec ma mère, mais il y a tellement longtemps. Alors, comme je n’avais pas grand-chose d’autre à faire du haut de mon perchoir de souffrance, j’ai aussi prié.

Bon, il ne s’est rien passé. Pas de miracle où la croix s’est brisée en deux, où un ange serait venu me chercher, rien… Mais j’avoue que c’était pas non plus désagréable de parler à Dieu. Même si je n’ai pas entendu de réponse – en tout cas pas sur l’instant…

Entre deux respirations difficiles, j’ai alors repensé à la prière de Jésus.

C’était étonnant. Ce n’était pas une prière pour lui, pour sa mère ou pour ses amis, mais pour ceux qui lui faisaient du mal. J’en étais ébranlé. Comment ce gars peut-il pardonner à ses ennemis ? Comment, dans un moment pareil, dans une telle souffrance, peut-il parler de pardon ?

Là, ça a fait tilt !

J’avais déjà entendu parler de ce Jésus. Des potes étaient allés l’écouter, mais aussi des gens de ma famille, notamment mon cousin Simon, qui avait alors quitté les zélotes pour le suivre. D’après lui, ce que Jésus enseignait était différent. Il faisait des miracles et il aimait profondément les gens… Dans un repas de famille, Simon avait dit à tout le monde qu’il pensait que Jésus était le Messie. On avait franchement bien ri, et on avait continué à manger. Mais quand j’y pense, c’est pas complètement idiot.

Je dois bien reconnaître que ce que j’ai vu de ce Jésus est plutôt troublant. Il semble… différent. Alors qu’il aurait pu être accaparé par sa souffrance, il m’a parlé avec beaucoup d’attention. Au lieu de crier à l’injustice, il demande pour ceux qui le mettent à mort le pardon de Dieu qu’il appelle son Père. Et si…

Aïe, j’ai mal.

C’est à ce moment-là qu’Isaac a parlé à son tour. Il a crié à Jésus : « N’es-tu pas le Messie ? Alors sauve-toi toi-même, et nous avec !1 »

Ces mots m’ont ouvert les yeux. Isaac en était arrivé à la même conclusion que moi. Ce type à côté de moi était le Messie. Je l’avais d’abord vu comme un type normal, puis comme un faux roi, mais avec les paroles d’Isaac, j’ai compris ce qui se passait. Ce Jésus n’était pas n’importe qui. C’était l’envoyé de Dieu ! C’est pour ça qu’il a eu un traitement spécial, c’est pour ça que la foule l’a si durement traité… et c’est pour ça qu’il a pardonné…

Avec les forces qui me restaient, je n’ai pas pu m’empêcher de reprendre Isaac :

« Tu n’as donc aucun respect de Dieu, toi, et pourtant tu subis la même peine ? Pour nous, ce n’est que justice : nous payons pour ce que nous avons fait ; mais celui-là n’a rien fait de mal. »2

J’étais assez content de moi. Mon dernier acte serait un acte de justice. Personne ne l’a entendu, à part nous trois. Et Dieu !

D’ailleurs, est-ce que je ne devrais pas aller plus loin ? Chercher la justice de Dieu plutôt que la mienne ? Jésus m’a à nouveau regardé à ce moment-là.

J’ai réalisé qu’il était bien le Messie. Alors, dans un élan de foi, je lui ai demandé : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras régner3.

À ma grande surprise, il m’a répondu ! Il m’a dit : « Vraiment, je te l’assure : aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis.4″

Dans mon cœur, il y a eu une révolution. Pas violente comme celles auxquelles j’avais participé, mais une sorte de vague d’amour qui m’a envahi. J’ai alors parlé à Dieu. Je lui ai demandé pardon, et j’ai eu l’absolue certitude qu’il m’écoutait et qu’il enlevait le poids de ma faute. Je lui ai confié ma femme et mes enfants, et j’ai ressenti une paix profonde. J’ai regardé le ciel ; je sais que Dieu m’a pardonné à ce moment. Puis j’ai voulu de nouveau parler à Jésus, mais il était mort.

Il s’est alors passé des choses incroyables. Il a fait nuit en plein jour. Vous direz que c’était une simple éclipse. OK, mais elle n’était pas prévue. Et puis on a vu sur les pentes du mont du Temple des gens sortir de certaines tombes ! Franchement, c’était apocalyptique ! La foule a eu peur, les cris de rage ont fait place à des cris de stupeur… Et même le centurion a dit en regardant Jésus : « Cet homme était vraiment le Fils de Dieu ». Puis la foule s’est dispersée. Il ne restait que la garde, Isaac et moi, suspendus à la croix… mais aussi quelques femmes qui pleuraient.

Je continuais de souffrir, mais jusqu’à mon dernier souffle, j’ai gardé précieusement les paroles de Jésus : « Vraiment,  je te l’assure : aujourd’hui même, tu seras avec moi dans le paradis.5»

Matthieu Gangloff

1 La Bible du Semeur (Colorado Springs : Biblica, 2000), Luc 23.39.
2 La Bible du Semeur (Colorado Springs : Biblica, 2000), Luc 23.40–41.
3 La Bible du Semeur (Colorado Springs : Biblica, 2000), Luc 23.42.
4 La Bible du Semeur (Colorado Springs : Biblica, 2000), Luc 23.43.
5 La Bible du Semeur (Colorado Springs : Biblica, 2000), Luc 23.43

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