Bientôt Lausanne IV…

Eglise et Evangélisation
Mises en perspectives avant le Congrès de Lausanne IV,
en Corée
du Sud.

Réfléchir en Église
Quand on parle d’évangélisation, certains veulent de suite aborder les questions pratiques et surtout, surtout, ne pas perdre de temps en réflexion. Le mouvement évangélique, qui s’est construit en grande partie en réaction contre les milieux académiques libéraux du 19e siècle a souvent opposé la pratique à la réflexion. Réfléchir serait une perte de temps, alors même que des personnes se perdent et sont condamnées à l’enfer…  Ainsi, plutôt que de parler d’évangélisation, nous devrions aller réellement sur le terrain.

Pourtant, dans de nombreux passages bibliques, nous sommes invités à prendre un temps d’arrêt et à réfléchir à notre pratique. Il y a même des avertissements à ne surtout pas aller vite (Proverbe 19.2 par exemple). En même temps, il faut aussi dire que parfois, la réflexion est un prétexte pour ne surtout pas vivre le témoignage… Passer des heures et des heures à débattre de quel serait le meilleur moyen de témoigner sans jamais trancher, est une manière subtile de… ne pas le faire !

Mais, on ne peut négliger ce devoir et cette responsabilité que Dieu a confiés à son Église.  

L’Eglise doit penser son action. Précisément, l’histoire du christianisme a été marquée par de grands conciles1. Ces rassemblements permettaient justement de réfléchir collectivement, en Église, aux grands enjeux du moment. Nous serions bien inspirés, nous qui prônons la collégialité, de la vivre plus franchement encore.  

Le congrès international pour l’évangélisation mondiale organisé en 1974, puis les congrès suivants sont modélisants en ce sens, à la fois par le contenu et par la forme des ces réflexions partagées. En tant qu’Union, nous pouvons nous en inspirer, recevoir collectivement ce qui a été pensé mondialement (et traduit en Français aujourd’hui !), mais aussi y contribuer, au niveau local, régional, national et mondial…  

Alors que s’annonce le Congrès de Lausanne IV, quelques pistes des 3 premiers opus sont encore à méditer en Église.

L’action sociale et humanitaire

  • Lors du 1er congrès, à Lausanne, les évangéliques ont renoué avec l’action sociale. Historiquement, les évangéliques ont un passé remarquable d’action sociale. Mais les réveils spirituels successifs, depuis la moitié du XIXe et au début du XXe siècle, avaient davantage mis l’accent sur l’évangélisation et avaient dissocié, voire même opposé, évangélisation et action sociale. Lausanne 74 a été d’abord l’occasion d’une repentance collective, et l’affirmation claire que l’Évangile contraint l’Église à se préoccuper aussi des questions de justice sociale. Puisque Dieu ne s’intéresse pas simplement à l’église, mais au monde, nous devrions partager toute l’étendue des préoccupations de Dieu. Or, il considère la justice, la réconciliation, la libération de l’oppression, le soin des plus fragiles comme particulièrement importants.
  • Le Congrès de Manille (Lausanne II) a mis l’accent sur l’Évangile intégral, la mission intégrale, la mission holistique… Suite à ce congrès, de nombreux ouvrages ont été produits et la notion s’est diffusée dans le monde évangélique et au-delà. Cela a porté beaucoup de fruits, dans bien des pays. L’idée, toujours d’actualité, est la suivante : L’Évangile authentique doit se manifester par des vies transformées, avec un service plein d’amour qui doit nécessairement accompagner notre proclamation de l’amour de Dieu. Dit autrement, la mise en pratique des exigences divines de justice et de paix doit accompagner notre annonce du Royaume de Dieu2. Si l’Évangile tout entier doit être proclamé, il doit, en même temps, être porté par l’Église toute entière. Le manifeste de Manille rappelle que c’est la totalité du peuple de Dieu qui est appelée à prendre part à l’œuvre.
  • Lausanne III, au Cap, a ainsi décliné cette implication de l’Église à toutes les sphères de la société. Or, dans une période post-covid marquée par des tensions et une fragmentation de la société, le message de l’Évangile a particulièrement sa place et devrait pouvoir être vu. En ce sens, il y a peut-être un travail à faire au sein des CAEF (voire du RéseauFEF ) pour recenser tout ce qui est fait, valoriser des actions humanitaires et sociales, pour ensuite les développer.  

Les jeunes de nos Eglises se forment de mieux en mieux et il y a des talents qui sommeillent. Un jeune doué dans la gestion financière n’est pas appelé à ne gérer que le budget de l’association culturelle !  Associé à d’autres compétences, comme des centres sociaux, des œuvres d’accueil ou des fondations…, des entreprises à l’éthique vertueuse pourraient naitre ! Notre milieu est peut-être parfois trop ecclésio-centré et trop localement centré et perd de vue, un peu vite, sa responsabilité envers le monde que Dieu aime. 

Ainsi, si notre union a été (à juste titre) très mobilisée sur le sujet de l’implantation d’Églises ces dernières années, 

il serait probablement utile de ne pas trop perdre de vue l’action sociale qui devrait accompagner notre volonté d’incarner Christ, dans le monde.

La difficulté que connait la mise en place du CNEF solidarité n’est pas sans lien avec une non-habitude de travailler en réseau. Or, précisément, dans le domaine social, comme entrepreneurial (qui devrait être valorisé en terrain évangélique), il serait bon de proposer des plateformes de travail pour tous ceux qui sont impliqués dans un même segment d’activité.  

Plus d’unité
Pour pouvoir vivre de tels projets, l’Eglise doit être pensée plus largement que localement. Ce n’est d’ailleurs pas une option, mais une nécessité théologique. L’Eglise à laquelle Paul a écrit l’épitre aux Romains n’était pas une Eglise locale dans un lieu unique, mais l’ensemble des chrétiens de Rome. Il serait sage de ne pas oublier cette réalité et ne pas nous prendre pour les seuls témoins alors que Dieu possède un peuple nombreux dans l’endroit où nous vivons.

Développer des projets collaboratifs (qu’ils soient sociaux, éducatifs, entrepreneuriaux, ecclésiaux…) ne peut se faire que s’il existe une unité ou un minimum de relations. Or, nous le cultivons et le développons très peu. Pourtant, c’est une nécessité, pour la gloire de Dieu.  C’est aussi en réalisant l’opposition qui existe contre l’Evangile que se réalisera bien plus l’unité de l’Église. Nous sommes peut-être parfois légers sur la manière dont nous souhaitons que l’Evangile soit vu et entendu dans notre secteur. Une Eglise qui prêche le dimanche est un des moyens de témoigner que Dieu utilise, mais une entreprise éthique, un centre d’accueil, une école privée, sont autant d’autres moyens de rayonner de l’Evangile.  

Mais vivre de tels développements implique une unité de l’Eglise bien plus grande qu’une pastorale régionale trimestrielle…  

L’unité est un thème central dans la déclaration de Lausanne, avec tout un article sur la coopération : « l’évangélisation nous exhorte à être unis ». Notre message d’amour et de paix sonnera toujours creux, sans amour et sans expressions incarnées dans la société. C’est à notre amour que les gens reconnaissent la signature de Dieu. Et il serait utile qu’ils la voient en d’autres occasions que le dimanche matin ou le jeudi soir à la réunion de prière, sans pour autant négliger ces moments clés de la vie ecclésiale.  

Étant des gens passionnés et convaincus, nous qui sommes évangéliques, nous pouvons en même temps être farouchement individualistes et paraître préférer parfois la construction de notre propre empire plutôt que de permettre que notre travail soit absorbé, pour le bien commun, dans une entreprise plus importante. Il y a là, me semblet-il une interpellation du mouvement de Lausanne à entendre absolument.

Dans le Nouveau Testament, évangélisation et unité sont étroitement liées. Jésus a prié pour que l’unité de son peuple reflète son unité avec le Père et que le monde croie en lui. De même, Paul exhorte les Philippiens à «combattre d’une même âme pour la foi de l’Evangile». Chaque congrès de Lausanne a développé davantage la thématique.  

Il faut d’ailleurs préciser que l’unité ne se restreint pas au bassin d’Eglises locales que nous connaissons. Le troisième congrès de Lausanne pour l’évangélisation du monde eu lieu du 16 au 25 octobre 2010 au Cap, en Afrique du Sud. Ce choix ne fut pas lié au hasard. Il témoignait du fait que la communauté chrétienne mondiale a connu un déplacement majeur de son épicentre qui se situe désormais non plus en Europe mais en Afrique, et plutôt sous l’équateur. Par ailleurs, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud a été particulièrement marquante et témoigne de la volonté de l’Église de briser les barrières ethniques au nom de l’Évangile. L’objectif était de relancer le défi de rendre témoignage à Jésus-Christ et à tout son enseignement dans toutes les nations du monde, mais aussi dans toutes les sphères de la société ainsi que dans le monde des idées. Avec Lausanne IV en Corée, le mouvement de Lausanne assume que l’Église est plus que jamais mondiale.  

Se posent donc les questions de vivre la multiculturalité et même l’interculturalité au niveau local, mais aussi de l’accueil des migrants. Nous connaissons des mouvements de population sans précédent. La migration est l’une des plus grandes réalités mondiales de notre époque. On estime à 200 millions les personnes qui vivent hors de leur pays d’origine, volontairement ou involontairement. On parle aujourd’hui de « diaspora » pour parler des peuples qui se sont installés hors de leur pays de naissance pour une quelconque raison.

La place de l’Eglise dans les grandes villes et en particulier dans les très grandes villes, mais aussi dans les campagnes doit être repensée à la lumière de ce nouveau paradigme, pour que l’unité en Christ soit réellement vécue ! Nous avons, dans nos villes, des frères et sœurs qui sont sans famille, après avoir fui leur pays (quel que soit le motif de cette fuite qui n’est souvent pas un choix de facilité).

Comment intégrer ces personnes, et le faire réellement ? La Bible nous contraint à ne pas simplement proposer de « faire comme nous », mais de réellement vivre l’Eglise ensemble. Nous ne pensons pas à cet aspect de l’intégration, car souvent nous n’avons pas à le faire, nous faisons simplement comme d’habitude, et nous ne réalisons pas tous les marqueurs culturels que nous avons dans nos cultes.
Chercher à vivre selon les valeurs de l’Evangile, c’est d’abord réaliser puis accepter que l’Eglise est composée de couleurs culturelles variées. C’est d’ailleurs ce qui fait la beauté de l’Eglise ! Ensuite, il s’agit de penser la mise en place d’une vraie possibilité de vivre la foi avec ces nuances. On peut penser à des expressions musicales variées, des temps de prières communs autorisant l’usage de la langue maternelle. Bref, permettre à chacun de vivre avec sa propre sensibilité, sans pour autant perdre de vue l’unité de l’ensemble. Il y a là un vrai défi pour l’Eglise, car il faut tenir l’individuel et le collectif, l’interculturalité et l’unité.

Aujourd’hui, c’est très souvent un impensé dans nos Eglises. Et précisément, le modèle biblique nous pousse à la réflexion sur ce que veut dire « être réellement Eglise ensemble », dans une perspective où lors de l’éternité, toutes les cultures seront assemblées, avec leurs colorations pour honorer le roi des rois. Comment l‘anticiper et commencer à la vivre dans le ici et maintenant ?

De même, il nous faut penser la mission en termes de partenariats (et non plus en mode top-down, mais bien en réels partenariats). Comment développer les rapports avec les Malgaches et les Tchadiens de qui les CAEF sont si proches, comment recevoir et être bénis par ces frères et sœurs dont les modèles ecclésiaux ont tant de richesses ! Comment nous laisser interpeller par eux qui peuvent nous aider à revisiter notre culture pour mieux coller à l’Evangile ?

Notre unité mondiale, c’est à la fois un défi et une chance immense,

car l’Église est à la fois une et diverse, et chacun cherche à contextualiser l’Évangile dans sa réalité locale.  

Et à nouveau, le dialogue entre Eglises, lors de pastorales devrait être privilégié. Pas tant pour un échange de nouvelles interminables et un concours de qui a fait le plus de baptêmes cette année, mais pour se mettre ensemble à réfléchir et à prier pour des thématiques précises. Anciens, responsables d’activités, membres impliqués pourraient y trouver leur place. Là encore, Lausanne donne un exemple de collaboration significative, où les uns et les autres peuvent partager de bonnes idées et avancer dans leurs pratiques.  

Marcher dans la simplicité en rejetant l’idolâtrie du « toujours plus » 

L’évangile de la prospérité soulève de grandes préoccupations pour l’Eglise mondiale. Cet évangile frelaté affirme que les croyants ont droit aux bénédictions que sont la santé et la richesse, et qu’ils peuvent obtenir ces bénédictions grâce à une confession de foi positive et à la «loi de la semence» en argent et en biens matériels. L’enseignement de la prospérité́ est un phénomène qui dépasse de nombreuses dénominations sur tous les continents et déforme l’Evangile de grâce en utilisant des mots proches mais dont le sens a été transformé et vicié.  

Or, cet attrait du matériel prend d’autres formes dans nos milieux, avec une quête de la performance plus que celle de la fidélité à Dieu. Je note que la performance tend à nous replier sur nous-mêmes, là où la fidélité au projet de Dieu nous oblige à ouvrir nos horizons et à inventer de nouvelles collaborations à l’échelle de bassins d’Eglises et au-delà.  

L’unité chrétienne est la création de Dieu, sur la base de notre réconciliation avec Dieu en Christ, elle nous pousse nécessairement à vivre l’Evangile les uns avec les autres. Cette double réconciliation a été accomplie par la croix. Quand nous vivons dans l’unité et travaillons en partenariat, nous mettons en évidence la puissance surnaturelle et contre -culturelle de la croix. Le mouvement de Lausanne a en particulier mis l’accent sur deux éléments clefs :  

  • Le besoin d’une vie radicale de disciples obéissants, conduisant à la maturité, en vue d’une croissance tant en profondeur qu’en nombre  
  • le besoin d’une réconciliation radicale centrée sur la croix, conduisant à l’unité, en vue d’une croissance tant dans l’amour que dans la foi et l’espérance.  

Mais pour le vivre, nous avons besoin d’être réformés par le Seigneur lui-même, vivifiés par l’action de son Esprit en nous, dans une proximité renouvelée avec le Père. Individuellement, en Église locale, en pastorale et en tant qu’Eglise mondiale, nous avons besoin d’être requestionnés par Dieu. C’est Lui qui nous met en mouvement, et la réflexion théologique est un véritable aiguillon qui nous oblige à nous déplacer et à revisiter nos modèles. Notre temps à l’écoute de Dieu va nécessairement nous pousser à prendre d’autres chemins pour la seule gloire de Dieu. « L’Église est sensée être en ébullition, et sans cette ébullition, il ne peut y avoir de mission vers l’extérieur3».  

L’Évangile est en cela simple qu’il ne s’agit pas de suivre des protocoles ou des méthodes bien travaillées, mais à vivre une relation authentique avec Dieu en cherchant à vivre fidèlement un Evangile qui est assez radical quant à ses implications concrètes.

Or, nous sommes plus à l’aise dans nos modèles postmodernes individualistes où nous pouvons être et faire ce que nous voulons chacun de notre côté… Mais est-ce encore l’Évangile ?

L’Evangile postmoderne, dont la prospérité n’est qu’une facette viciée, porte aussi les germes de l’individualisme recroquevillé sur lui, de la performance personnelle qui tire la gloire de Dieu sur son propre succès et le mépris de celui ou celle qui ne nous ressemble pas… et qui pourtant est aimé par le crucifié ressuscité !

Dit autrement, la relation à Dieu prime sur la mission qu’il nous confie, car on ne saurait porter du fruit sans être attaché à Celui qui est la Vie. Avant d’être missionnaires, nous sommes des amis de Jésus, et parce que nous sommes ses amis, nous l’écoutons,  nous parlons de lui et nous sommes transformés par le fait d’être en sa présence. Cette transformation est porteuse de vie autour de nous.  

 Matthieu Gangloff

1] Les Églises divergent sur les conciles reconnus. L’Église catholique comptabilise vingt et un conciles œcuméniques. L’Église orthodoxe ne retient que les huit premiers conciles qui sont avant la séparation de l’Église d’Orient et d’Occident en 1054. Les Églises protestantes et l’Église anglicane ne reconnaissent que les quatre premiers conciles. 

2] Le mouvement de Lausanne a toujours affirmé que l’évangélisation est première parce que la préoccupation majeure est que tous aient l’occasion d’accepter Jésus-Christ comme Seigneur et Sauveur. En même temps, nous devons suivre l’exemple du maître, et Jésus lui- même ne s’est pas contenté de proclamer le Royaume de Dieu, il en a manifesté concrètement l’instauration par ses œuvres de miséricorde et de puissance. 

3] Nicolas Farelly « la mission par débordement », dans Les cahiers de l’école pastorale  n°127, 2023, p.72. 

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