Le gender : nature-elle-ment ? 

Programme et évaluation d’une entreprise de déconstruction…

L’avènement du gender 

Le rationalisme. Les doctrines philosophiques faisant de la raison la seule source de la connaissance ont eu tendance à mépriser le fond naturel des choses : le caractère sexué des individus a donc pu apparaître comme un scandale pour la raison. D’ailleurs, le dernier logion de l’évangile de saint Thomas, qui est un écrit gnostique remontant au IIe siècle, faisait dire à Jésus : « Toute femme qui se fera mâle entrera dans le royaume des cieux. » C’était une façon de dire que la différence des sexes est sans véritable signification et qu’elle doit être abolie… 

Le culturalisme. La thèse culturaliste considère l’être humain d’abord comme un produit de la culture, la nature ou la biologie ne comptant presque plus. Le culturalisme a pu se prévaloir par exemple des travaux de l’anthropologue américaine Margaret Mead (1901-1978), qui, dès les années 1930, a prétendu que les comportements masculins ou féminins ne seraient que les résultats d’un conditionnement social : l’identité sexuelle ne serait qu’une construction culturelle provisoire. 

L’existentialisme et la French Theory. Des penseurs français ont joué un rôle préparatoire dans l’essor de l’idéologie du gender. Jean-Paul Sartre (1905-1980) a posé comme un absolu la liberté humaine ; la subjectivité est alors tenue pour sacrée, et chacun est appelé à devenir son propre projet. De son côté, Simone de Beauvoir (1908-1986) a écrit en 1949 : « On ne naît pas femme, on le devient. »1 « Être assigné comme homme ou femme par son corps sexué »2 est réputé intolérable : l’idée d’un destin biologique est rejeté, et l’individu est sommé de projeter son existence comme il l’entend. Quant à Michel Foucault (1926-1984), il prétendait que la norme hétérosexuelle était arbitrairement érigée par le pouvoir de la collectivité, en particulier par la société patriarcale… 

La psychophysiologie clinique. Dès 1955, le psychologue néo-zélandais John W. Money (1921-2006) a vulgarisé le terme gender pour évoquer l’identité sexuelle qu’un individu se forge selon ce qu’il perçoit de lui-même : sans nécessaire correspondance avec son anatomie, il se sent homme ou femme. Money a ainsi distingué « entre le genre, relevant du psychologique … , et le sexe, se rapportant au biologique »3. Or en 1966, il a mis en œuvre sa théorie sur un garçonnet au pénis brûlé par une circoncision ratée : « Money [a] proposé aux parents de le réassigner en fille à l’âge de 18 mois (David [devint] alors Brenda) … . [Un traitement hormonal lui fut prescrit, on lui retira les testicules, on l’habilla en fille…] Pourtant, durant son adolescence, David-Brenda [fut attiré par les filles] et reprit son identité masculine. [Il épousa même une femme.] Sa souffrance psychique fut extrême … et il finit par mettre fin à ses jours [en 2002 – son jumeau fera de même en 2004]. »4 

À la suite de Money, le psychiatre américain Robert J. Stoller (1924-1991), considérant le cas de « personnes souffrant de contradiction entre leur sexe anatomique et leur ressenti psychique »5, a relié le sexe psychique, appelé gender, aux contraintes sociales obligeant l’individu à jouer un rôle « conforme à la norme prédominante »6. Dès lors, le gender ressortit au psychosocial et évoque l’arbitraire de la société, qui étiquète comme garçon ou fille. 

Le féminisme radical. Dans une optique non plus médicale mais idéologique, un courant féministe a utilisé la notion de gender pour dénoncer le sexisme et la domination masculine. Ainsi en 1972, la sociologue britannique Ann Oakley a prétendu, dans Sex, Gender and Society, que c’est la société qui assignerait, arbitrairement, des rôles spécifiques aux hommes et aux femmes. La référence à une nature masculine ou féminine ne servirait qu’à justifier l’oppression des femmes par les hommes, car les rôles masculins et féminins ne seraient en réalité que des constructions sociales. Nature-elle-ment ! Il faudrait donc défaire ce que la culture a fait, en détrompant les femmes à qui on a fait croire « que leur nature était de se réaliser … dans la maternité, ou de « servir » leur mari »7. Ainsi Caroline de Haas, cofondatrice de l’association Osez le féminisme, écrira : « La déconstruction des rôles sociaux que l’on attribue à chacun des sexes est déterminante pour construire une société d’égalité réelle. »8 

Le mouvement queer. Le mot queer signifie bizarre ; il s’oppose au straight… Dans un livre publié en américain en 1992 puis traduit en 2001 sous le titre La Pensée straight, la philosophe française Monique Wittig (1935-2003) explique le régime patriarcal par la domination du modèle hétérosexuel. L’hétérosexualité est stigmatisée car elle obligerait la femme à être la « femelle des hommes ». Ainsi, puisque les rôles masculins et féminins paraissent imposés par la norme hétérosexuelle, c’est la lutte contre l’hétérosexisme qui remplace la lutte féministe contre le sexisme. 

Précisément, la philosophe américaine Judith Butler s’efforce de déconstruire la norme hétérosexuelle, qui ne serait qu’une convention sociale oppressive. L’emblème du gender devient alors le travesti, celui qui refuse le rôle prescrit par la société, qui refuse cette « identité d’emprunt, résultat d’un conditionnement [et à] déconstruire pour [que l’individu soit rendu] à sa liberté de jeu, [au] sens théâtral »9. On retrouve ici la logique d’un Michel Foucault, la sexualité étant réduite à une question de pouvoir… En tout cas, la pensée queer refuse absolument de tenir compte de la différence anatomique des sexes, pour ne faire cas que de l’orientation sexuelle, susceptible de varier. 

Le programme du gender 

La libération de l’identité sexuelle. Si tout est culturel, donc variable, pourquoi s’aliéner encore à tel ou tel ordre social ? Ainsi, rejetant la vision réaliste de l’altérité sexuelle, l’idéologie du gender veut attribuer à l’individu la liberté de choisir, subjectivement et indépendamment de son sexe biologique, son identité sexuelle, et de revenir autant de fois qu’il le veut sur son choix : je suis ce qu’à tout moment je décide d’être, je suis ce que maintenant je me sens être ! Mylène Farmer chantait déjà : « Sans contrefaçon, je suis un garçon… » C’est « un sexe à la carte, sans limite et finalement indéfini »10, qui est prôné – on parle de genderfluids pour évoquer la fluidité de genre. Chacun est invité à disposer souverainement de lui-même, au gré de ses caprices… 

Ainsi, cette idéologie allègue la toute-puissance de l’individu et génère un syndrome narcissique. On considère la féminité et la masculinité comme des articles de magasin, « des panoplies culturelles dont [on pourrait] s’équiper indépendamment de son sexe »11. Selon une logique assurément hédoniste, c’est donc une sexualité polymorphe qui est donnée pour modèle. Bref, quitte à récuser la dualité du masculin et du féminin, la différence des identités sexuelles choisies est appelée à supplanter la différence objective des sexes. 

La révolution anthropologique. « Marx voulait construire une société sans classe, Queer cherche à édifier une société sans sexe »12, écrit le père Verlinde. On peut en effet aisément discerner le dessein de détruire le schéma de la différenciation sexuelle s’imposant à l’humanité. Il est d’ailleurs significatif que l’Allemagne, par exemple, a légalisé en 2018 un troisième genre, ou sexe neutre, dénommé divers dans les certificats de naissance ! La fin de cette entreprise semble l’avènement d’un monde nouveau et arbitraire, dans lequel l’individualisme aura triomphé… 

D’ores et déjà la différence est suspecte, blâmée par la bien-pensance égalitariste qui confond égalité et identité. Du coup, on revient au modèle androgyne, au mythe d’une humanité constituée d’êtres à la fois homme et femme ; or dans cette vision, la sexualité est une déchirure, une dégradation à laquelle il s’agit de remédier… Voilà ce qu’évoque l’actuelle tendance à la neutralisation de la différence, tendance qu’atteste assurément la mode unisexe, dans l’habillement comme dans d’autres domaines. 

La démocratie violente. Il est intéressant de remarquer que cette vision révolutionnaire de la société se prévaut volontiers d’une mise en œuvre radicale de la démocratie : « En démocratie, l’anatomie ne doit plus être un destin. »13 Il n’empêche que cette vision du monde et cette éthique du libre choix ne s’imposent pas sans contrainte, du moins sans un conditionnement. Il suffit d’évoquer le dispositif expérimental ABCD de l’égalité, lancé par le gouvernement français en 2013 pour combattre les stéréotypes à l’école primaire, quitte à heurter la conscience des parents et à transgresser la laïcité. 

D’ailleurs, frustrer les enfants de stéréotypes, de modèles culturels à imiter, ne peut que nuire à leur structuration mentale et à la formation de leur propre liberté. Au reste, il est à craindre que la destruction de repères et l’indifférenciation fragilisent la vie sociale et rendent les populations globales particulièrement faciles à manipuler par un éventuel régime totalitaire… 

Le procès scientifique du gender 

La réalité de l’influence de la culture. La part de vérité scientifique de l’idéologie du gender, c’est que le cerveau humain est grandement influencé par toutes sortes de facteurs, notamment culturels : entre biologie et culture, il y a des influences réciproques. Ainsi, dans son livre Cerveau rose, cerveau bleu, la neurobiologiste américaine Lise Eliot montre bien que le cerveau se transforme en fonction de son propre vécu. Cela nous rappelle l’importance de l’éducation et de la tradition dans le développement différencié des garçons et des filles. 

La vanité de la réduction au culturel. Reste, bien sûr, la réalité différenciée du corps sexué ! En outre, dans le ventre de la mère « une poignée de gènes et quelques hormones déclenchent la différenciation sexuelle aussi bien pour le corps qu’au niveau du cerveau »14. Ainsi, « les quelques gènes supplémentaires du chromosome Y du garçon influencent ses comportements à tous les âges »15. 

L’évidence de la synthèse entre nature et culture. D’un point de vue scientifique, l’identité sexuelle semble ne se réduire ni à une construction sociale ni à la biologie. À l’évidence, le caractère sexué de l’individu constitue une donnée initiale déterminante, mais « le complet développement des caractéristiques mentales considérées comme masculines ou féminines dépend aussi de l’immersion systématique des enfants dans la culture masculine ou dans la culture féminine »16. 

L’évaluation morale du gender 

La dénégation de la nature. La nature sexuée de l’être humain fixe-t-elle définitivement un comportement particulier ? Eh bien, de façon générale on posera que, si tels traits caractéristiques de l’homme ou de la femme les inclinent préférentiellement vers tel ou tel rôle, il doit y avoir présomption que ce rôle a été prévu par le Créateur, qui est à l’origine de tout. Néanmoins, il n’y a pas preuve. En effet, on ne peut pas simplement passer de ce qui est à ce qui doit être ; en outre, la perturbation que le péché a introduite peut empêcher de bien comprendre l’intention du Créateur. Aussi la Parole de Dieu est-elle nécessaire pour bien saisir quel est l’ordre créationnel, qui correspond à la volonté de Dieu. 

Alors, que dit la nature sexuée ? A priori, on ne naît pas femme, mais seulement femelle ; on ne naît pas homme, mais seulement mâle. Toutefois, constatant par exemple que le fait de pouvoir porter un enfant et de le mettre au monde prédispose au rôle de la maternité, on supposera à bon droit que le Créateur a lié ce rôle à la féminité. Et le texte biblique confirme. Bref, la féminité ne saurait être une simple invention, contestable, de la culture, ou un choix individuel indéterminé. 

Selon la Bible, l’humanité est structurée selon la dualité des sexes. N’en déplaise à Simone de Beauvoir, le sexe d’une personne n’est donc pas un accident qui n’affecterait guère l’essence humaine, mais il correspond à la volonté de Dieu de créer chaque être humain, dans sa totalité, homme ou femme. Il ressort que la disjonction que Judith Butler opère de son côté entre sexe biologique et orientation sexuelle érige l’homme en démiurge de l’homme. Nier le biologique, qui est un donné préalable, c’est revendiquer follement une liberté absolue : c’est se révolter contre le Créateur. En fait, le péché refuse la limite et donc la différence sexuelle, qui signale ce que je ne peux pas être… 

L’inflation de la culture. Cependant, le donné naturel ne détermine pas mécaniquement la conduite ; autrement dit, le naturalisme fourvoie, car le comportement humain n’est pas simplement déterminé par l’instinct. Alors, doit-on s’appuyer sur cela pour verser dans le culturalisme et chercher à s’émanciper totalement du donné biologique, comme l’entend l’idéologie du gender ? N’est-on vraiment humain qu’à ce prix ? Au fond, la liberté humaine se définit-elle par son opposition à la nature ? 

L’Écriture appelle mensonge la prétention à la liberté absolue, à la liberté d’auto-détermination. Formé « de la poussière de la terre » (Gn 2.7a), l’être humain est pris dans le jeu de conditionnements donnés et réglés par Dieu ; et la vraie liberté, loin d’être arbitraire, assume cet enracinement naturel. 

Ainsi, comme l’écrit la philosophe Marguerite Léna en parlant des femmes, « il faut renvoyer … dos à dos le naturalisme, qui met hors culture une identité féminine dont le développement se fait on ne sait comment et le culturalisme, pour qui l’éducation fait tout, y compris la femme. Car ils méconnaissent l’un et l’autre le paradoxe de l’homme, être inséparablement naturel et culturel, charnel jusque dans son esprit et spirituel jusque dans sa chair. »17 

L’oubli de la vocation. Au fond, l’idéologie du gender néglige, à tort, « de penser la masculinité et la féminité … comme une vocation »18 à assumer. Nous croyons, nous, que chacun est appelé à devenir ce qu’il est. Car enfin, loin d’être un appareil extérieur à la personne, « le corps fait signe »19, et il s’agit de le déchiffrer et de le transposer en fonction de telle culture. Le corps sexué est « langage, texte à lire, à traduire, à interpréter et à jouer »20, écrit le théologien François de Muizon, et la culture permet à l’être humain de vivre son corps d’une façon particulière ; mais la culture ne crée pas l’expressivité du corps… 

C’est dans une telle optique que semblent se placer les signataires d’une tribune du journal Marianne publiée le 5 janvier 2021: « L’enfant ne choisit ni ses parents ni son sexe, ni son nom en naissant. Il passe sa vie à composer avec [ces données], pour mieux s’en accommoder et devenir ce qu’il est avec ce qu’il n’a pas choisi. C’est ce principe qui est fondateur du genre humain. Il est contraint, il ne peut pas tout. (…) Aimer un enfant, c’est aussi lui faire accepter la limite ; il peut certes rêver d’être un autre mais le réel le contraindra toujours et il incombe aux parents de le lui faire entendre. » 

Au reste, la différence sexuelle, donnée par création, dément la prétention de l’individu à se suffire, et renvoie hommes et femmes les uns aux autres. Aussi est-ce dans la rencontre que le féminin et le masculin peuvent être saisis, « que « le génie féminin » et « le génie masculin » apparaissent et se révèlent en quelque sorte … l’un par la grâce de l’autre »21. Pour sûr, cela désigne « une vocation de l’homme et une vocation de la femme »22. 

Eh bien, chacun, doué par création d’un « souffle de vie » (Gn 2.7a), se tient maintenant comme face à Dieu, pour lui dire amen. 

Sylvain Aharonian

Pour aller plus loin sur cette question : 

Le livre Dieu et le débat transgenre  d’ Andrew Walker/préface de Sam Alberry , disponible dans toutes les librairies chrétiennes. 


Module éthique sexualité  de la Faculté Libre de Théologie Evangélique

 

 

[1] Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, Paris, Gallimard, 1949, p. 285.
[2] Élizabeth Montfort, Le Genre en questions, s. l., Peuple Libre, 2012, p. 51.µ[3] Aude Michel, Les Troubles de l’identité sexuée, coll. 128, Paris, Armand Colin, 2006, p. 11.
[4] Patricia Mercader, « Le Genre, la psychanalyse et la nature : réflexions à partir du transsexualisme », Hommes, femmes, la construction de la différence, sous dir. Françoise HÉritier, coll. Le collège, Paris, Le Pommier, 2010, citée par Charles-Éric de Saint Germain, La Défaite de la raison, Essai sur la barbarie politico-morale contemporaine, Paris, Salvator, 2015, p. 283.
[5] Montfort, op. cit., p. 7.
[6] De Saint Germain, op. cit., p. 284.
[7] Ibid., p. 288.
[8] « Théorie du genre, homoparentalité : ces ultimes sursauts réactionnaires », lemonde.fr, 24 août 2011.
[9] De Saint Germain, op. cit., p. 290.
[10] Ibid., p. 293.
[11] Ibid., p. 290.
[12] Joseph-Marie Verlinde, L’Idéologie du gender comme identité reçue ou choisie ?, Mesnil-Saint-Loup, Le Livre Ouvert, 2012, p. 39.
[13] Florence Rochefort, citée par Thibaud Collin, « Genre : les enjeux d’une polémique », Communio, n° 6, t. XXXVI, 2011, p. 120.
[14] Lise Eliot, Cerveau rose, cerveau bleu, Les neurones ont-ils un sexe ?, trad. de l’américain par Pierre Reignier, Paris, Robert Laffont, 2011, extrait consulté en mai 2013 sur http://books.google.fr/.
[15] Ibid..
[16] Ibid..
[17] Marguerite LÉna, citée par de Saint Germain, op. cit., p. 318.
[18] De Saint Germain, op. cit., p. 266.
[19] Ibid., p. 306.
[20] François de Muizon, cité par Ibid., p. 312.
[21] François de Muizon, « Amour et altérité à l’heure des discours sur le genre », La Revue Réformée, t. LXVII, n° 278, avril 2016, p. 55.
[22] De Saint Germain, op. cit., p. 281.

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