Comment va l’Eglise ?

Nous en avons fait le thème du dernier congrès ; nous l’avons célébré avec le Réseau FEF, début mars dernier : il y a une seule Eglise, l’Eglise Une, voulue et choisie par Dieu, conduite par Christ qui en est la tête et vivifiée par le Saint-Esprit qui la conduit.
Au-delà d’une formulation théologique plus ou moins bien comprise, au point où nous en sommes, qu’est-ce que cela change dans notre vie d’Eglise et dans la vie au sein de l’union ?
- L’Eglise Une nous libère de la comparaison et de la compétitivité. Bien sûr, nous sommes convaincus que c’est Christ qui bâtit son Eglise et qu’à moins que l’Éternel ne bâtisse la maison, nous travaillons en vain. Mais tout de même, nous ne sommes pas insensibles au nombre de baptêmes et à l’assistance croissante au culte en tant que marqueurs de la bonne santé d’une Eglise ! Mais L’Eglise, projet de Dieu de toute éternité, ne se crée pas, elle se reçoit et de par sa nature ne s’évalue pas en termes purement quantitatifs.
- Appartenir à l’Eglise c’est être partie prenante de toutes les concrétisations locales de l’Eglise Une. Nous nous réjouissons avec celles qui se réjouissent et nous souffrons avec celles qui souffrent. Mais l’empathie ne devrait pas s’arrêter là. Intégré à la même pâte, je ne peux garder pour moi seulement ce que Dieu a donné pour l’ensemble du corps. Il n’est pas question ici de se sacrifier, même si le sacrifice a aussi sa place, mais d’incarner une interdépendance et une solidarité de nature.
- Vivre l’Eglise Une, c’est mettre en œuvre l’économie du don. Jésus-Christ fait des dons à son Eglise pour la « construire », la « nourrir » et en « prendre soin » (Eph 4.8). De fait, nous devons nous considérer, ensemble et chacun pour sa part, comme un don pour le peuple de Dieu. Nous ne sommes pas les propriétaires d’un bien qu’il faudrait faire fructifier, mais les intendants d’un Royaume qui s’étend à la manière de la pâte au sein de laquelle le levain fait son œuvre.
Alors, comment va l’Eglise ?
Bien difficile de répondre à cette question selon cette approche de l’Eglise. A la petite échelle de l’Entente Evangélique des CAEF, « nos » Eglises (sic) sont de petites tailles, 50 membres en moyenne. La croissance numérique est plus que modeste puisque les implantations compensent à peine le déclin des Eglises « historiques »1. L’image n’est pas plus triomphante à l’échelle du Réseau FEF.
Il nous semble donc stratégique de réfléchir au développement des Eglises. Nous traçons ici les grandes lignes et posons les bases de ce qui pourrait définir le pôle « développement des Eglises » de l’union dans le cadre de l’ADN de l’Eglise Une. Il s’agit d’en présenter le contexte, les enjeux et les opportunités.
Un écueil serait de penser développement premièrement et exclusivement en termes de croissance. Comme le dit très bien Harry L. Reeder dans son livre « From Embers to a Flame »2, « notre but devrait être une Église en bonne santé. Tant de pasteurs et responsables d’Église luttent aujourd’hui pour la croissance de l’Église, mais c’est mettre la charrue avant les bœufs. L’objectif ne devrait pas être la croissance de l’Église, mais la bonne santé de l’Église, car la croissance doit découler de la santé. (…) Nous devrions nous concentrer sur la santé de l’Église et laisser Dieu prendre soin de la croissance ».
Dans le cadre de l’Eglise une, quels sont les critères de la bonne santé ?
- Le nombre ne garantit pas la bonne santé, le petit nombre aussi bien que le grand nombre peuvent cacher les symptômes d’une Eglise malade. D’un côté le risque du multitudinisme et de l’autre le syndrome du petit reste fidèle convaincu d’être le dernier garant du bon dépôt. Certaines Eglises, en milieu rural ne grandiront pas en nombre mais peuvent néanmoins être des pépinières de talents qui enrichissent le corps de Christ ailleurs. Au sein de grandes villes universitaires, une nouvelle Eglise grandira principalement par transferts de membres ou arrivées d’étudiants attirés par un leader charismatique et doué.
- Le but ultime de Dieu est de préparer une Eglise sans tâche ni ride. C’est un objectif collectif mais qui néanmoins concerne chacun des membres individuellement. Dans quelle mesure l’Eglise favorise-t-elle cette transformation ? Quelles sont les actions qui nourrissent cette transformation à la ressemblance de Christ ? Comment encourageons-nous l’intimité avec Dieu, qui est le lieu secret de la transformation du caractère, tout comme les relations fraternelles en sont le lieu d’exercice public ?
- L’Eglise est sel et lumière, dans le monde sans faire partie du monde. Selon une formule attribuée à Dietrich Bonhoeffer « l’Église n’est réellement Église, que quand elle existe pour ceux qui n’en font pas partie ». Comment aujourd’hui tenir ce rôle essentiel dans une société sécularisée ? Dans quelle mesure l’Eglise équipe-t-elle ses membres à être des témoins dans l’Eglise dispersée, dans la famille, sur le lieu de travail, avec les voisins et durant les loisirs ? Comment l’Eglise reste pertinente dans son contexte culturel ?
- Comme tout organisme vivant, l’Eglise traverse différents cycles lors de son existence. A chacun de ses cycles correspondent des opportunités et des risques qu’une gouvernance adaptée devra pouvoir accompagner. Comment anticiper ces étapes et comment y faire face ?
- Dans notre compréhension « semi-congrégationaliste » de l’Eglise, comment se concrétise la réalité de l’Eglise Une ? Comment l’interdépendance peut-elle être vécue ? Quelles sont les actions intentionnelles de l’Eglise qui manifestent cette réalité ? Comment notre regard et notre cœur sont-ils transformés par la compréhension de l’Eglise Une ?
- Et il ne faudrait pas non plus oublier la solidarité avec l’Eglise Une au loin, en contribuant à la mission d’évangélisation et de formation des chrétiens !
C’est sur ce fondement théologique et en prenant en compte ces questionnements que nous imaginons la mise en place du pôle développement.
Le pôle développement des églises
La mission de ce pôle développement est de faciliter un accompagnement des Eglises à toutes les étapes de leur vie.
Sa mise en œuvre devra s’appuyer sur la structuration de la régionalisation et la mise en réseau au niveau de bassins d’Eglises.
Des outils diagnostiques pourront être mis à la disposition des Eglises pour aider à une saine évaluation et la recherche de ressources.
Il s’agit avant tout d’être au service des Eglises.
Tout n’est pas à inventer, bien évidemment. Nous nous réjouissons des belles initiatives qui existent déjà au niveau local et régional. Un ministère jeunesse partagé entre plusieurs églises de dénominations différentes à Lille. Une pastorale sud-est qui soutient l’implantation et met en place une formation inter-églises et inter-dénominationnelles. Une Eglise du sud-ouest qui forme des serviteurs en vue de la revitalisation d’une autre Eglise. Sans parler des cultes en commun, des échanges de chaires, des groupes de jeunes inter-églises, etc.
Le défi qui est devant nous consiste à ce que toutes les Eglises puissent se trouver engagées, au sein d’un réseau, au niveau d’un bassin d’Eglises, dans une dynamique de développement, quel que soit le stade de la vie de l’Eglise.
A ce niveau de proximité, la question est : « Comment mieux utiliser les dons que Dieu a déjà donnés à son Eglise (à travers une Eglise locale) pour accomplir sa mission ? » Mais il faudra veiller à ce que ce partage des ressources ne s’établisse pas sur la seule base du besoin qui peut être comblé par la richesse de l’autre, mais qu’il soit vécu dans une vision commune du bien de l’Eglise pour le rayonnement de l’Evangile, et en fonction des dons que Dieu a fait.
On ne décrète pas le développement !
Ce qui engendrera une dynamique relève du discernement de la convergence entre, d’un côté une vision pour l’union d’Eglises, nourrie par l’apport théologique de l’Eglise Une et, de l’autre, les multiples initiatives émanant des Eglises, elles-mêmes nourries et portées par cette même vision. C’est cette convergence qu’il s’agit de coordonner et d’accompagner afin qu’elle soit cohérente, fructueuse et vertueuse. On pourrait par exemple imaginer ici des « catalyseurs » qui seraient des relais régionaux et locaux entre l’union d’Eglises et les bassins d’Eglises.
Selon la conduite du Seigneur et les moyens à notre disposition, voici certaines des étapes qui pourraient être envisagées :
- Une cartographie des bassins et réseaux d’Eglises existants ou à imaginer
- Un catalogue des activités favorisant l’expression de l’Eglise Une
- Un inventaire des ressources humaines et matérielles
- Des pilotes de régions pour partager la vision
- Des ressources humaines animateurs de réseaux et catalyseurs d’initiatives
- Quelques outils diagnostiques mis à disposition des Eglises
Un projet à mener à l’échelle du Réseau FEF ?
Suite à la rédaction de la déclaration commune sur l’Eglise Une et l’engagement qu’elle implique, plusieurs unions du Réseau FEF réfléchissent à des synergies pour éviter les doublons entre unions. Dans ce premier pas vers une véritable prise en compte de l’Eglise Une dans la vie des Eglises de notre Union, la régionalisation, l’implantation et la revitalisation font partie des domaines où la mutualisation des ressources pourrait être envisagée.
Typiquement, le pôle développement devrait se construire en concertation avec plusieurs unions. Les bassins d’Eglises seraient alors composés d’Eglises de plusieurs unions membres du Réseau FEF et les ressources provenir aussi des différentes unions impliquées.
Une évolution stratégique
Penser le développement à partir de l’Eglise Une ouvre un éventail de possibilités et de ressources bien plus grand, bien plus riche et bien plus varié. Toutes les ressources ne sont pas dans une Eglise locale et toutes les ressources d’une Eglise locale ne sont pas destinées à cette seule Eglise locale.
Dans cette perspective, l’Eglise Une ne rajoute pas une épaisseur supplémentaire au mille-feuille des strates d’activités qui saturent déjà nos emplois du temps. Au contraire, il s’agit de mieux utiliser et développer ce qui est déjà présent, en le partageant, et non de rajouter.
C’est avec enthousiasme que nous considérons les opportunités qui sont devant nous. Nous discernons que c’est le temps de Dieu car de bonnes relations de confiance se sont développées au niveau des dirigeants des unions du Réseau FEF. Le redéploiement des ressources déjà disponibles devrait aussi aider à combler des vides, sans dépendre de nouveaux ministères dont on sait qu’ils sont peu nombreux.
Sommes-nous prêts à considérer l’Eglise du point de vue de Dieu, « l’Eglise vue d’en haut », et à mettre au profit de tous les ressources que Dieu nous a données pour la bonne santé de l’Eglise ? Et s’il y a un prix à payer, peut-on en faire l’économie quand il s’agit de son Eglise, l’Eglise Une, et de l’avancement du Royaume de Dieu ?
Pierre Bariteau
Chargé de mission « pôle développement des églises »